Auteurs : Dr. César Moquet Flan (lead) (CRPA), Christian Barou (CRPA), Gisèle Tapsoba Mare (CAPES), Blanche Sonon (Social Watch Bénin), Richard Houessou (Afrobarometer)
RÉSUMÉ
Le besoin migratoire est assez répandu dans la sous-région ouest-africaine. Généralement, il est mu par la recherche d’un mieux-être. Contrairement aux idées reçues, les Ouest-Africains migrent davantage vers leur sous-région ou vers le reste du continent, plutôt que de l’Afrique vers l’extérieur. En plus de la recherche de meilleures conditions de vie, les études et le regroupement familial sont d’autres motivations à l’émigration. Si cela participe aux échanges sous-régionaux, c’est aussi la preuve que les conditions socioéconomiques favorables ne sont pas forcément réunies dans les pays d’origine des migrants. Par conséquent, une mise sur pied de réformes en faveur du développement dans ces pays est urgente.
Mots clés : migration, développement, Afrique de l’ouest.
Acronymes
ADET : Amis Des Etrangers au Togo
MADE : Migration And Development (Civil Society Network)
MINEFID : Ministère de l’Economie des Finances et du Développement
INTRODUCTION
L’Homme est un être social, c’est bien connu. Mais c’est aussi un être mouvant. L’histoire du peuplement de la terre démontre en effet que les déplacements humains sont aussi anciens que l’humanité elle-même. Si l’Afrique est le berceau de l’humanité, c’est par des vagues de migrations successives que cette humanité a pu découvrir, atteindre, et s’approprier les autres continents. Ainsi, le phénomène migratoire est indissociable de l’humanité.
La migration est définie par le Dictionnaire Larousse comme un « déplacement volontaire d’individus ou de populations d’un pays dans un autre ou d’une région dans une autre, pour des raisons économiques, politiques ou culturelles ». On peut en inférer qu’il existe deux types de migrations : d’une part, la migration d’un pays à un autre, qu’on pourrait qualifier de migration externe ; et d’autre part, la migration d’une région à une autre au sein du même pays, que l’on pourrait qualifier de migration interne. Cependant, au regard de la dynamique de regroupement des pays par régions qui prévaut dans le monde depuis au moins la fin de la première moitié du XXème siècle avec la création de l’Organisation des Etats Américains en 1948 et celle de la Communauté Economique Européenne en 1957, la tendance n’est plus à l’analyse de la situation des pays pris séparément. En effet, il est aujourd’hui question de mener des réflexions à l’échelle des regroupements régionaux constitués par les Etats. Il faut souligner, du reste, que l’Afrique n’est pas restée en marge de cette dynamique. Dès l’accession de la majorité des Etats africains à l’indépendance, l’on a assisté à la création de l’Organisation de l’Unité Africaine en 1963. L’on note même l’existence de regroupements à l’échelle sous-régionale avec la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest notamment, créée en 1975.
De ce fait, dans le cadre de cette étude portant sur la migration interne en Afrique de l’Ouest, l’on considérera la sous-région comme un espace unique, et toute migration d’un pays à un autre au sein de cet espace, comme une migration interne.
Ceci étant, lorsqu’on décide de mener une réflexion sur la migration interne en Afrique de l’Ouest, certaines questions s’imposent avec acuité. Quelles sont les raisons qui poussent les populations à migrer ? De tels déplacements souvent massifs entraînent nécessairement des conséquences. Quelles sont-elles ? Enfin, bien que la migration soit inhérente à la nature humaine et ait des retombées certainement bénéfiques, il s’avère nécessaire de pouvoir la contrôler. Quelles sont alors les solutions que l’on pourrait préconiser en vue de freiner et de contrôler le phénomène migratoire en Afrique de l’Ouest ?
Les réponses à ces différentes préoccupations constitueront la trame de fond de la présente analyse. Ainsi, nous nous attellerons à identifier les causes des migrations et à exposer les conséquences des migrations avant de proposer aux solutions en vue de freiner les migrations internes en Afrique de l’Ouest.
I. Les causes des migrations
Plusieurs auteurs se sont penchés sur les déterminants de l’émigration. Hatton and Williamson (2002) ont montré que les facteurs économiques et démographiques favorisent la migration. D’autres se sont penchés sur le chômage comme source de migration (Naude, 2010). De récentes littératures ont fait état de ce que non seulement l’incapacité des pays africains à créer des opportunités économiques pour leur citoyens (Kainth, 2015 ; Stanojoska & Petreveski, 2015 ; Gheasi & Nijkamp, 2017), mais aussi les facteurs sociaux et politiques (Flahaux & De Haas, 2016) contribueraient pour beaucoup à une émigration plus accrues observée ces dernières années. Ces facteurs contribueraient sans doute à l’émigration plus accrue des jeunes adultes et les citoyens les plus instruits en Afrique (Josephine Appiah-Nyamekye Sanny, Carolyn Logan, et E. Gyimah-Boadi, 2019).
En dépit de ces résultats probants dans la littérature, nous nous sommes intéressés aux données Afrobarometer sur les pays comme le Bénin, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Afrobarometer est un réseau panafricain et non-partisan de recherche par sondage qui produit des données fiables sur les expériences et appréciations des Africains relatives à la démocratie, à la gouvernance, et à la qualité de vie. Sept rounds d’enquêtes ont été réalisés dans un maximum de 38 pays entre 1999 et 2018. Nous utilisons les données de l’édition 7 entre 2016 et 2018. Afrobarometer réalise des entretiens face-à-face dans la langue du répondant avec des échantillons représentatifs à l’échelle nationale. Un échantillon de 1.200 adultes béninois a été interviewé dans chacun de ces pays. Cet échantillon de cette taille produit des résultats nationaux avec des marges d’erreur de +/-3 points de pourcentage à un niveau de confiance de 95%. Ces données nous permettent d’apprécier le comportement des citoyens vis-à-vis du phénomène migratoire.
D’après les données Afrobarometer, les citoyens béninois estiment qu’il est difficile, voire très difficile de traverser les frontières de l’Afrique de l’Ouest. Bien que persistante, cette difficulté s’est moins exprimée au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire par rapport au Bénin (Figure 1). Par ailleurs, au cours des trois années précédant l’enquête, une grande majorité des citoyens du Burkina Faso n’ont pas du tout été vivre dans un pays à l’extérieur de leur pays. Par contre, c’est plutôt au Bénin qu’une proportion non négligeable de citoyens a été vivre hors du Bénin au cours des trois ans précédant l’enquête (Figure 2).
Ce résultat nous permet de nous interroger sur les probables destinations par pays. Nous observons que les migrations sont plus à l’intérieur de l’Afrique comme ce fût le cas pour le Bénin et pour le Burkina Faso. Au Bénin, il est plus probable pour les citoyens de se rendre au Nigéria. Au Burkina Faso, c’est plutôt la Côte d’Ivoire qui est la plus probable destination. En revanche, en Côte d’Ivoire, les destinations les plus probables sont les pays de l’Europe et de l’Amérique du Nord (Tableau 3).
Quelle est alors la raison pour les citoyens d’émigrer ? Les données Afrobarometer indique que les facteurs économiques sont les causes des migrations dans ces trois pays que sont le Bénin, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Pour une grande majorité des Béninois (84%), des Burkinabé (78%), des Ivoiriens (81%), les raisons économiques favorisent l’émigration. Ces facteurs économiques comprennent la recherche de travail ou d’emploi meilleur, les difficultés économiques, la pauvreté, les meilleures opportunités d’affaires. Les facteurs sociaux comme poursuivre, rejoindre son conjoint ou sa conjointe, le tourisme, sont aussi des facteurs explicatifs de la migration dans ces trois pays. En Côte d’Ivoire un facteur politique comme la guerre civile contribue aussi à l’émigration (Tableau 4).
Figure 1 : Difficulté de traverser le pays
Source : Afrobarometer
Question aux répondants : Selon vous, à quel point est-il facile ou difficile pour les populations d’Afrique de l’Ouest de traverser les frontières internationales pour travailler ou faire du commerce dans les autres pays, ou n’en avez-vous pas entendu assez pour vous prononcer
Tableau 2 : Vivre hors du pays
Source : Afrobarometer
Question aux répondants : Est-ce qu’au cours des trois dernières années, vous ou un membre de votre ménage avez été vivre plus de trois mois dans un pays à l’extérieur du [pays]
Tableau 3 : Destination probable
Pays | Bénin | Burkina Faso | Côte d’Ivoire |
Sénégal | 1% | ||
Côte d’Ivoire | 44% | ||
Nigéria | 28% | ||
Un autre pays de l’Afrique de l’Ouest | 20% | 12% | 7% |
Ailleurs en Afrique | 9% | 7% | 4% |
Europe | 19% | 9% | 45% |
Amérique du Nord | 10% | 17% | 28% |
Amérique centrale et du sud/Moyen Orient/Asie/Australie | 6% | 4% | 7% |
Hors d’Afrique | 6% | 2% | 5% |
Ne sait pas | 2% | 3% | 3% |
Refus de répondre | 1% |
Source : Afrobarometer
Question aux répondants : Si vous deviez déménager dans un autre pays, quelle serait votre destination la plus probable ?
Tableau 4 : Raisons d’immigrer
Pays | Bénin | Burkina Faso | Côte d’Ivoire |
Recherche de travail/meilleur emploi | 43% | 37% | 35% |
Difficulté économique | 30% | 28% | 31% |
Pauvreté | 9% | 10% | 9% |
Meilleures opportunités d’affaires | 2% | 3% | 6% |
Poursuivre les études | 2% | 5% | |
Guerres civiles | 3% | ||
Pour rejoindre son conjoint/sa conjointe | 3% | 10% | |
Tourisme | 5% | 4% | 6% |
Ne sait pas | 1% | ||
Autres raisons | 6% | 8% | 4% |
Source : Afrobarometer
Question aux répondants : Si vous deviez déménager dans un autre pays, quelle serait votre destination la plus probable ? Plusieurs raisons fondent les gens à quitter leur pays pour vivre ailleurs pour une durée relativement longue. Et vous ? Qu’est-ce qui pourrait le plus vous faire penser à quitter le [pays] ?
Abordons à présent la question des conséquences des migrations internes.
II. Les conséquences des migrations
Comme indiqué en introduction, les phénomènes migratoires remontent aux origines mêmes de l’humanité et concernent de ce fait tous les continents. Berceau de l’humanité, l’Afrique est historiquement une région d’intenses mobilités qui prennent des formes variées et des directions, échelles spatiales et rythmes divers ; MADE et Caritas Sénégal (2016). Les migrations internes se sont accentuées en Afrique ; ADET (2013). Les causes évoquées sont multiples et ont des similitudes entre les différents pays.
Les impacts de ce phénomène sont ressentis aussi bien au niveau des zones de départ que des zones d’accueil. Ces répercussions des flux migratoires sont d’ordre économique, social, géopolitique, sanitaire, sécuritaire, alimentaire, hydrique. La plupart des mouvements de population sont de nature intra-régionale en Afrique de l’Ouest. Les chiffres montrent que 84% des flux migratoires dans cette partie du continent ont pour destination un autre pays de la région. Ce taux est sept fois plus élevé que celui des flux vers les autres régions du globe. Seuls quatre pays ont un pays de l’OCDE comme première destination d’émigration : le Portugal pour le Cap-Vert et la Guinée-Bissau, l’Espagne pour la Gambie et les États-Unis pour le Nigeria.
Les pays qui enregistrent le départ de leurs ressortissants vers d’autres pays africains sont généralement les pays qui offrent peu d’opportunités d’emplois, ont une organisation inadéquate de la gestion de leurs ressources naturelles, sont en guerre, n’arrivent pas à enrayer l’hydre terroriste, le nombre de repas par personne et par jour n’excède pas un, ont un insuffisant accès à l’eau potable. A l’opposé, les pays d’accueil sont ceux aux ressources naturelles assez abondantes et plus profitables à la population, où l’accès à un emploi rémunéré est toujours possible, où la sécurité des biens et des personnes est mieux maitrisée, l’alimentation est mieux accessible et de qualité acceptable, l’eau potable n’est pas une préoccupation. Les zones d’attraction sont très souvent les centres urbains. Généralement, les pays sahéliens comme le Burkina Faso, le Niger, le Mali connaissent des flux migratoires vers les pays côtiers les plus nantis en ressources naturelles. La migration des peuples de ces pays vers la Côte d’Ivoire et dans une moindre mesure vers le Ghana date de l’histoire d’avant l’indépendance. Les peuples du Togo et du Bénin peuvent aussi être retrouvés en grand nombre au Nigéria. Par exemple l’émigration des travailleurs a été encadré au Burkina Faso par la signature des accords bilatéraux et des conventions : la convention avec la Côte d’Ivoire (1960), la convention avec le Mali (1969), la convention avec le Gabon (1973). Le partage des frontières est un tremplin aux flux migratoires, à l’interpénétration culturelle et à l’intégration des communautés.
Les pays qui se vident, perdent l’intelligentsia potentielle pour leur développement. Ils perdent aussi, les bras valides en termes de force de travail mécanique dans le cadre des travaux manuels de construction des infrastructures et de participation aux services non qualifiés. Dans ce contexte pour valoriser les ressources naturelles existantes ou pour apporter de la valeur ajoutée aux produits de base, les expertises doivent être importées avec les charges y afférentes. Les départs se font très souvent par séparation de familles. Les membres de familles qui restent peuvent être exposés à la précarité si le membre qui s’est détaché n’envoie pas régulièrement les ressources vitales ou s’il n’a pas pu bien s’installer. Dans ces pays, la mendicité connait une recrudescence, c’est le cas du Burkina Faso. Certains de ces pays pratiquent culturellement la mendicité (Sénégal, Mali, Niger, Burkina Faso), mais les nouveaux fléaux du siècle (terrorisme, grands banditismes, chômage, les changements climatiques) ont exacerbé cette pratique. Dans la perspective d’une dynamique de développement, ce constat est une entrave. Les enfants en âge scolaire se retrouvent à mendier dans les rues. Les pays comme le Ghana, le Bénin, le Togo ne connaissent pas cette pratique. Les artères dans ces pays sont dégagées de tout mendiant. Les enfants reçoivent une base d’éducation avant de rentrer dans la vie active.
Il est à noter des aspects positifs pour les pays de départ. Il s’agit notamment des transferts d’argent. Les montants des transferts monétaires vers les pays de départ ont augmenté entre 1985 et 2003 ; Moroccan News Daily (2018). Ce qui permet de relancer la consommation dans les pays d’origine. La migration se révèle donc être l’un des moyens les plus efficaces de lutte contre la pauvreté, et de redistribution internationale des richesses vers les catégories de population et espaces sociaux en marge ou démunis. Les transferts monétaires représentent plus de 10 % du PIB dans les pays défavorisés, ils sont donc deux fois supérieurs au montant de l’aide au développement. Les émigrés qui « retournent au pays » contribuent à la circulation mondiale. Les jeunes peuvent donc suivre leurs études dans des pays aux structures plus évoluées et ensuite accéder à des postes plus élevés. Si les migrations internes sont bien gérées par les pays, elles peuvent être un tremplin pour le développement de ces pays.
Les pays africains, les mieux nantis, qui accueillent sont dans l’obligation du partage des emplois, des ressources naturelles, de la nationalité (pour ceux qui veulent se naturaliser), etc. ils bénéficient en retour de la force de travail et de l’intelligentsia des immigrants et de paiement des taxes diverses qui contribuent à bâtir leur économie et à générer de nouveaux emplois. Des conséquences négatives telles que la délinquance sous diverses formes, le sous-emploi, la réduction des potentialités diverses de ces pays, liées aux nouveaux arrivants, le besoin de plus de ressources financières pour créer davantage des infrastructures vitales peuvent être des conséquences à prendre en compte.
Des migrations internes au sein d’un même pays existent aussi et ont des conséquences multiformes. Concernant les mouvements des populations, au plan interne au Burkina Faso par exemple, à l’exception de la province du Kadiogo sur les quarante-cinq (45) que compte le pays, les taux de départs sont élevés dans la plupart des provinces de la zone centrale, avec des taux dépassant parfois 4% de la population. Les principaux foyers de départs en matière de migrations internes en 2012 sont les régions du Centre (16,6% de l’ensemble des départs), des Hauts-Bassins (15,8%), du Nord (11%) et de la Boucle du Mouhoun (8,3%). Les principales destinations sont la région du Centre qui enregistre l’essentiel des migrants internes récents (21,2% du total des entrants) ; MINEFID (2019). Précisons que la région du Centre abrite la capitale, Ouagadougou.
Les conséquences sont entre autres l’inadéquation des besoins d’emploi par rapport à la qualification des immigrants, l’accroissement du nombre de citadins par rapport aux infrastructures vitales (santé, eau, assainissement, habitation), la gestion de la sécurité des personnes et des biens (les attaques à mains armées, les vols, les crimes, la perversion des mœurs).
Il est difficile pour les pays africains de planifier sur une longue période leur développement, étant donné que tous les défis ne sont pas contrôlables ni maitrisés.
Cet état de fait impose de trouver des solutions urgentes aux migrations.
III. Les solutions pour freiner les migrations
« On n’est jamais mieux que chez soi », dit l’adage. La migration se révèle ainsi être plus une nécessité qu’un choix pour la plupart des migrants. L’on migre pour trouver ailleurs ce qu’il nous manque chez nous. Chercher à résoudre la problématique de la migration interne en Afrique suppose donc de trouver les solutions aux difficultés qui poussent les individus à émigrer. En tête de liste celles-ci, l’on trouve évidemment les questions économiques avec pour point d’orgue la thématique de l’emploi.
Les migrations internes en Afrique de l’Ouest, qui représentent 84% des mouvements migratoires dans cette région, posent des défis majeurs, auxquels des réponses réalistes et clairvoyantes devraient être apportées. En effet, si l’immigration en tant qu’expression du décloisonnement des frontières et des êtres humains présente des avantages certains, l’on ne saurait nier que l’état de nécessité (souvent économique) qui sous-tend sa dynamique en Afrique de l’Ouest pourrait amenuiser son potentiel. A cet égard, nous pourrions évoquer les frasques du nationalisme ivoirien et la précarité des migrants qui s’en est suivie, ou la récente fermeture des frontières entre le Nigeria et le Benin. Toute chose qui a démontré ou qui démontre que nos systèmes politiques peinent à apporter des solutions opérantes, pérennes et coordonnées, pouvant faire de l’immigration un atout et non une entrave aux développements harmonieux des Etats.
Aussi convient-il de souligner que la vulnérabilité des migrants, tant au moment de leur départ, de leur transit, que de leur accueil, est symptomatique de la faiblesse des politiques migratoires qu’elles soient régionales ou nationales. Une faiblesse qui rend compte de la pertinence d’une appropriation véritable des questions migratoires à ces échelles.
- Au plan régional
Dans la perspective régionale, nous pourrions nous ressasser les propos du Président de la République de Côte d’Ivoire, Monsieur Alassane Ouattara, qui déclarait en 2017, que les migrations sont « l’un des trois défis majeurs qui auront un impact important sur l’avenir de notre planète et sur les relations entre l’Europe et l’Afrique ». Sans nier la véracité de cette assertion, elle est également valable pour les relations entre pays Ouest-africains. En ce sens, la CEDEAO qui a d’entame vanté les mérites des migrations, s’est attelée à se faire le chantre de la liberté de circulation et d’établissement au sein de la Communauté.
Cependant, nonobstant l’adoption de plusieurs protocoles d’accord sur cette question, les mesures d’application n’ont pas été assez robustes pour vaincre les velléités particularistes des Etats. Ainsi, le fait migratoire étant principalement motivé par des raisons économiques, pour la plupart synthétisées dans la quête d’un emploi décent, l’une des solutions serait d’élaborer un droit communautaire du travail. Un tel projet est d’ailleurs, envisagé depuis 2010 à l’OHADA. Son effectivité permettrait d’harmoniser, voire d’uniformiser, le droit du travail et d’accorder les mêmes garanties aux travailleurs dans la région ; ce qui favoriserait une plus grande sédentarisation des potentiels migrants et un meilleur contrôle des migrations. A ce propos, à la faveur de ce droit communautaire du travail, nous pourrions proposer la création d’un Office communautaire de la main d’œuvre. Cet organe permettrait de mieux fédérer les efforts pour contrôler les migrations. En effet, il interviendrait tant au niveau du recrutement, de l’introduction et du placement des migrants. C’est un mécanisme dont le fonctionnement pourrait être calqué sur celui des rapports, au lendemain des indépendances, entre l’Office ivoirien de la main d’œuvre (OMOCI) et l’Office voltaïque de la main d’œuvre. Les Etats fourniraient à l’office communautaire, des informations sur les possibilités d’emploi en leur sein. A son tour cet organe diffuserait les informations via une plate-forme dans l’ensemble des pays de la Communauté, et coordonnerait le recrutement, faciliterait les formalités d’introduction et surveillerait les procédures de placement. Un tel mécanisme permettrait de filtrer les migrations économiques, afin qu’elles répondent aux capacités d’accueil des Etats et à leurs attentes selon leurs schémas économiques. En outre, il permettrait aux migrants d’avoir des informations sur les pays dans lesquels ils souhaitent immigrer et sur les opportunités d’emploi dans leurs propres pays. A ce titre, le mécanisme envisagé pourrait favoriser un endiguement de l’immigration clandestine. Toutefois, pour être efficient, il suppose un taux de formalisation très élevé des entreprises au sein de la sous-région, car plusieurs pays sont encore en proie au secteur informel.
- Au plan national
A ce stade, l’absence de politique migratoire est tout aussi flagrante que la porosité des frontières.
Premièrement, l’élaboration d’une politique migratoire alignée sur les engagements communautaires permettrait aux Etats, de se doter d’outils pour la maitrise du phénomène migratoire. Ceci passe par l’édiction d’un cadre juridique spécifique aux migrations. En ce sens, la ratification des Conventions pertinentes de l’Organisation Internationale du Travail, pourrait favoriser la création d’un tel cadre. En outre, l’instauration de politiques en faveur du travail décent favoriserait une diminution de l’émigration clandestine, qui engendre indubitablement un manque à gagner pour les Etats et écorne l’image de plusieurs pays à l’international. A ce propos, il faudrait relever que la lutte contre l’immigration clandestine et les incitations au retour qui en sont subséquentes, devraient être soutenues par la création de véritables possibilités d’emploi, au risque de s’adonner à une déperdition d’énergie. Sur ce point, une enquête conjointe menée par l’OCDE et le Centre ivoirien de recherche économique et sociale, a prouvé que près d’un migrant de retour (en Côte d’Ivoire) sur trois, envisage d’émigrer l’année suivante, car les mêmes causes produisent irréductiblement les mêmes effets.
En plus, les Etats devraient s’atteler à déconstruire de part et d’autre les propagandes trompeuses sur les migrants internes. Ceci permettrait de prévenir certains abus et de promouvoir une véritable intégration régionale.
Deuxièmement, les Etats devraient œuvrer davantage à la sécurisation de leurs frontières, des routes principales ainsi que des routes secondaires, qui sont par ailleurs favorables aux trafics de tous genres. A ce niveau, il convient de préciser que 46,7% des migrants en Afrique de l’Ouest sont des femmes. Celles-ci, en raison de leur vulnérabilité sont souvent livrées à elles-mêmes, et sont la cible de sévices et d’abus. Dans cette veine, la prégnance du travail des enfants en Côte d’Ivoire par exemple est aussi la résultante de la maitrise insuffisante des frontières, car des études ont démontré que la majeure partie des enfants économiquement occupés sur le sol ivoirien, sont originaires de certains pays de la sous-région. Ainsi, pourrait-on ajouter que l’une des finalités de la sécurisation renforcée des frontières, est de décourager les migrations clandestines et de permettre aux Etats de contrôler ipso facto les entrées sur leurs territoires.
Aussi, la priorité des priorités pour nos Etats, en vue de freiner les migrations, doit-elle être de résoudre le problème du chômage quasi-endémique des populations. Cela suppose un certain nombre de réformes économiques courageuses :
- La diversification de l’économie et son industrialisation : le problème du chômage ne peut être résolu tant que nos économies seront cantonnées dans un nombre limité de secteurs. Il est évident que ceux-ci ne pourront pas absorber toute la main-d’œuvre disponible, obligeant ainsi les laissés pour compte à émigrer afin de trouver une occupation. L’industrialisation s’impose aussi comme un impératif car au-delà de ses retombées économiques pour l’Etat, elle est également une source inestimable d’emplois de masse.
- L’appui au secteur privé : c’est un constat général dans nos pays que la fonction publique est plus prisée par les populations, en raison de la sécurité de l’emploi qu’elle offre. Mais les capacités de recrutement de l’Etat sont limitées. Le secteur privé doit être alors le principal pourvoyeur d’emplois. Pour qu’il en soit ainsi, il faut néanmoins qu’il soit appuyé par l’Etat à travers des politiques publiques favorisant le développement des entreprises, et les incitant à employer davantage de personnels.
- La promotion de l’auto-emploi et de l’entrepreneuriat : l’emploi salarié apparait encore, malheureusement, aux yeux des africains comme le seul véritable type d’emploi. Il faut dépasser cette conception, sinon il sera difficile de résorber le problème du chômage et ainsi trouver une solution au phénomène de la migration. Cela suppose de développer la culture entrepreneuriale au sein de la population ; apprendre aux individus à investir et à créer leur propre emploi. Mais afin de favoriser et faciliter ce processus, il faille nécessairement assainir le milieu des affaires afin de rassurer les personnes désireuses d’entreprendre.
- La transparence et l’équité dans l’accès aux emplois publics : dans nombre de pays africains, il est de notoriété publique que l’accès aux emplois publics ne se fait pas toujours, hélas, sur la base des compétences. L’organisation des concours d’accès est très souvent décriée pour son manque de transparence et des soupçons de corruption. Certains diplômés compétents peuvent se retrouver ainsi à postuler pendant plusieurs années consécutives à un emploi dans la fonction publique sans succès. Ces derniers peu enclins à se rabattre vers d’autres emplois jugés non-conformes à leur niveau d’étude sont une proie facile pour la tentation migratoire. Ainsi, assurer la transparence et l’équité dans l’accès aux emplois publics serait un puissant moyen de lutte contre le chômage des diplômés et les risques d’émigration de ces derniers. Bien entendu, malgré une telle transparence, l’Etat ne pourra jamais employer au-delà de ses capacités. Mais maintenir l’espoir en chaque individu que, grâce à ses compétences et son travail, il peut finir par décrocher l’emploi qu’il souhaite, c’est assurément un pas en avant dans la lutte contre l’émigration.
- La valorisation des métiers de la terre : l’agriculture peut se révéler être un secteur en mesure d’absorber une bonne partie de la main-d’œuvre non qualifiée. Mais il faudrait amener les populations à s’y intéresser. L’agriculteur, le paysan, sont encore trop souvent regardés de haut et mis au ban de l’échelle sociale. Les personnes sans emploi préfèrent ainsi largement émigrer pour chercher du travail, malgré toutes les contraintes inhérentes à une telle aventure, plutôt que de rester dans leur pays pour exercer un métier de la terre.
Une autre solution relative à la gouvernance économique, et à ne surtout pas négliger afin de freiner principalement les migrations internes à un même pays, c’est le développement harmonieux et équilibré des régions. Une constante dans nos pays africains est en effet leur développement déséquilibré, avec une concentration des richesses et infrastructures socio-économiques dans une seule région, généralement celle abritant la capitale. Dans de telles conditions, il est difficile, voire impossible d’empêcher les migrations des populations des autres régions vers cet unique pôle de développement. La conséquence est inévitablement un surpeuplement de ces grandes zones urbaines et corrélativement un dépeuplement des régions non visitées par le train du développement. La ville d’Abidjan fournit une illustration topique de cette situation décrite. Il faut donc, s’agissant de ce volet des migrations internes à un même pays, mettre en œuvre une répartition équitable des richesses et des investissements afin d’aboutir à un développement harmonieux et équilibré de l’ensemble des régions du pays.
Les facteurs sociaux-politiques sont également, à n’en point douter, une cause profonde des migrations internes en Afrique. L’instabilité chronique de nos pays pousse en effet, chaque jour, bon nombre d’individus sur la route de la migration. C’est donc dire qu’il s’impose à nos Etats d’améliorer la gouvernance politique afin de pouvoir freiner les phénomènes migratoires. Cela suppose d’instaurer de véritables Etats de droit, où les droits individuels et collectifs seraient garantis, les libertés protégées. Des Etats où la justice serait véritablement indépendante et impartiale, équitable pour tous les citoyens indépendamment de leur statut social ou de leur richesse.
Il faudrait également dans le même ordre d’idées accentuer le processus de démocratisation de nos Etats en favorisant le pluralisme politique et la compétition électorale transparente. Il faut permettre et même encourager la libre expression des oppositions politiques. Autrement, le risque est grand de voir se développer des oppositions hors-système, aboutissant très souvent à des rébellions et autres guerres civiles, causes de migrations massives des populations vers des zones plus sûres.
Il convient de retenir en définitive que la migration n’est pas une fatalité. Elle peut être stoppée par des moyens autres que la coercition. Cela suppose juste l’identification des causes profondes des migrations afin d’y apporter les solutions appropriées. Celles-ci ainsi que nous venons de le voir concernent tant la gouvernance économique que la gouvernance politique des pays africains. Si elles sont réellement mises en œuvre, le phénomène des migrations internes en Afrique pourrait être résolu d’une manière décisive.
Références bibliographiques
MADE et CARITAS Sénégal, 2016. La migration africaine : état des lieux ; résume du rapport
MINEFID, 2019. Observatoire national du dividende démographique. Dimension réseau et territoire.
Moroccan News Daily, 2018. Quelles sont les conséquences des migrations pour les pays d’accueil et de départ ? https://hichamst.blogspot.com/2018/02/quelles-sont-les-consequences-des.html
ONG ADET, 2013. La migration, ses causes, ses conséquences et ses remèdes. http://www.noracismadet.ong
Sur l’éditeur :
Solution think tank
Le réseau de think tanks francophones en Afrique de l’Ouest – @solutiontt – #solutionthinktank
L’idée qui sous-tend solution think tank est de donner aux excellents think tanks francophones une voix plus forte au-delà des frontières nationales et des barrières linguistiques. L’Afrique de l’Ouest, en particulier, manque de plates-formes de coopération dans le domaine de la recherche orientée vers des solutions. Nous sommes fermement convaincus que l’expertise des think tanks ouest-africains doit et peut contribuer à un discours plus global et orienté vers des solutions sur les défis nationaux, régionaux et mondiaux dans les domaines politiques, sociaux, économiques et du développement.
Membres de Solution Think Tank en 2021 : | |
CIRES (Côte d’Ivoire) | Stat View International (Guinée) |
CRPA (Côte d’Ivoire) | Afrobarometer (Bénin) |
CADERT (Togo) | Social Watch (Bénin) |
CROP (Togo) | Konrad-Adenauer-Stiftung (Allemagne) |
CAPES (Burkina Faso) | WATHI (Sénégal) |
Chatham House (Royaume-Uni) | Institut de Stratégies (Côte d’Ivoire) |
IPED (Guinée) |