Auteurs : Dr. Bérenger N’cho (lead) (Institut de Stratégie), Fodé Naby Sankhon (Stat View International), Pamela Ariane Agbozo (Social Watch), Victor Emmanuel Ekwa Bebe III (Konrad-Adenauer-Stiftung)
RÉSUMÉ
Les pays d’Afrique de l’Ouest ont été, comme le reste du continent, moins touchés par la pandémie à covid-19 que le reste du monde. Des hypothèses autour de la résilience africaine ont émergé mais le regard est porté ici sur les mesures de communication mises en place qui tendent à faire passer le message officiel quant à la prévention et à la cure de la maladie. Des failles sont clairement établies dans le processus, qui peuvent être améliorées par des campagnes de proximité et une meilleure professionnalisation de la communication institutionnelle.
Mots clés : communication, pandémie, cible.
INTRODUCTION
A l’instar des autres régions du monde, l’émergence du nouveau coronavirus (Covid-19) en Afrique a mis en lumière certaines inégalités qui ont toujours existé au sein des populations, notamment celles en matière d’accessibilité à l’information. Ainsi, pour réduire ces écarts et satisfaire la demande en informations de qualité sans cesse croissante, les gouvernants ont mis en œuvre de vastes programmes de communication en mobilisant l’ensemble des canaux et outils existants.
Malgré ces efforts consentis, l’on assiste encore aujourd’hui en Afrique de l’Ouest à la résurgence de fortes craintes aussi bien sur la maladie elle-même, mais également des opinions divergentes assez marquées sur l’opportunité de se faire vacciner, au point où la crise de confiance entre gouvernants et peuples prend des proportions inquiétantes. Ces écarts observés se jouent à trois niveaux : qualité de l’information, sources de la désinformation et incidence de la crise de confiance. A l’heure de la vaccination pour tous, cette note se propose donc de :
- Tirer les leçons des stratégies de communication mises en œuvre ;
- Proposer des orientations stratégiques nouvelles.
Pour atteindre ses objectifs, cette étude s’est appuyée sur deux types de données : d’une part, des données primaires extraites de l’enquête commanditée par la KAS et réalisée par LOOKA sur un échantillon de pays à savoir la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo et la Guinée. Pour cette enquête, toutes les catégories socioprofessionnelles ont été visitées et l’âge des répondants varie de 18 ans à + de 59 ans. D’autre part, des données secondaires issues de l’enquête sur la stratégie et plan de communication sur le Covid-19 dans les pays de la CEDEAO ont été mobilisées. S’agissant de cette étude, un échantillon de 2000 personnes a été interrogé sur 5 pays de la CEDEAO notamment dans les grandes villes de ces pays : Abidjan pour la Côte d’Ivoire, Cotonou pour le Bénin, Lomé pour le Togo et Conakry pour la Guinée.
I. Sources et qualité de l’information sur la pandémie
Durant la pandémie de Covid-19, l’information a joué un rôle crucial tant au niveau des professionnels de santé que des populations. Provenant de plusieurs sources, elle a été relayée par plusieurs canaux au point d’affecter sa qualité dans certains cas. Dans cette section, il est question dans un premier temps d’aborder les sources d’information concernant la covid_19, puis dans un second d’exposer dans quelle mesure le message distillé a été affecté.
- Les sources d’information
Les médias traditionnels demeurent la principale source d’information : plus de 61% des personnes interrogées s’informent auprès de la TV, les journaux contre environ 28% auprès de réseaux sociaux. Toutefois, Facebook reste Le réseau social auprès de qui les personnes interviewées s’informent.
Graphique 1 : Principales sources d’information
Source : Enquête LOOKA, 2021
- La qualité des informations reçues
L’information distillée sur la pandémie à coronavirus (Covid-19) n’a pas la même importance auprès des populations. En effet, la plupart des personnes interrogé n’a pas confiance en la qualité des informations distillés par les médias sociaux et ce, quel que soit la tranche d’âge. Ils ont plus confiance aux informations relayées par le circuit traditionnel à savoir la télévision, la radio et les journaux.
Graphique 2 : Qualité de l’information
Source : Rapport ECOWAS, 2020
ii. Place de l’information dans la riposte contre la covid-19
La pandémie de COVID-19 est une crise de santé publique aussi grave qu’elle nous rappelle l’importance et le rôle d’une information de qualité et fiable dans la stratégie de riposte à mettre en œuvre. Dans cette section, l’attention sera portée sur la communication autour des symptômes de la maladie ainsi que les gestes et mesures barrières qui ont été édictées d’une part, et les annonces portant sur les mécanismes de prises en charges et la perception des populations sur l’utilité des messages reçus.
- Communication autour des symptômes et gestes barrières
Les enquêtés connaissent très bien les symptômes du Covid-19 qui ont fait l’objet de messages de communication (fièvre, toux, difficultés respiratoires), mais peu la perte d’odorat et de goût.
Graphique 3 : Communication sur les symptômes
Source : Rapport ECOWAS, 2020
S’agissant de l’efficacité des gestes empêchant la propagation du virus, plus de 83% des répondants ont entendu un message que le port du masque constitue une mesure barrière, et de 75% des enquêtés estiment que le port du masque est utile.
Graphique 4 : Communication sur les mesures barrières
Source: Rapport ECOWAS, 2020
- Communication sur les mécanismes de prises en charges et perception sur l’utilité des messages reçus
La connaissance des populations sur l’existence d’un numéro vert pour traiter des questions liées à la pandémie de covid-19 a été utilisé comme indicateur pour mesurer l’efficacité de la communication sur les mécanismes de prises en charge des patients atteints de cette maladie. Il ressort que plus de ¾ des personnes interviewées ont connaissance de l’existence d’un numéro vert pour la prise en charge des malades de la COVID-19. Ce qui témoigne d’une relative bonne communication sur cette question.
Graphique 5 : Communication sur la prise en charge
Source : Rapport ECOWAS, 2020
Au titre de la perception des individus sur l’utilité des messages distillés par le dispositif d’information mise en place dans la stratégie de riposte, l’on note une tendance très différente selon les pays. Toutefois, il ressort globalement qu’en moyenne que les mesures concernant les mesures barrières ont été très utiles dans la lutte contre cette pandémie.
Graphique 6 : Perception sur l’utilité des messages
Source : Rapport ECOWAS, 2020
iii. La place de la communication dans la riposte contre la covid-19
La communication étant un outil d’échange d’informations, a vu ses canaux se développer au cours de ces dernières années, surtout en Afrique. Il faut noter l’avènement des réseaux sociaux qui permettent de relayer plus vite les informations même si la radio et la télévision continuent à être des canaux d’information par excellence.
Toutefois, ces canaux d’information peuvent devenir aussi des canaux de désinformation et d’intox par manque de véritable information ou de communication sur une situation donnée. Il en est de même pour des pandémies et autres. Nous ne pourrons les vaincre, sans pour autant mettre un accent particulier sur la communication. Car elle occupe une place très importante dans la riposte.
Comme nous le savons tous, à l’instar des autres continents, l’Afrique a été secouée ces dernières années par une grave pandémie appelée covid-19 faisant des milliers des morts avec de différentes variantes. Plusieurs stratégies de riposte ont été mises en place par l’OMS et les gouvernements en vue d’éradiquer cette pandémie. Mais ces stratégies avaient du mal à fonctionner correctement du moins en Afrique, à cause du manque de véritable stratégie de communication. C’est ce qui a conduit dans certains pays à plus de contamination et même à des cas de mort même si ça n’a pas été comme en Europe et partout ailleurs. Toutes les stratégies de riposte devraient être basées sur la communication qui est la pierre angulaire de cette lutte contre la pandémie, car la communication occupe une place très importante dans les relations humaines.
La preuve en est que dès qu’il y a eu des communications constantes et progressives autour de la maladie, des pistes de solution ont commencé à surgir et le taux de contamination à commencer à baisser. Des communications sur les modes de contamination, comment éviter de se contaminer à travers la distanciation sociale et autres mesures barrières, l’importance de la vaccination et les risques auxquels on s’expose, qui consulter en cas de constat des symptômes de la maladie, etc.
Elle doit être menée sur plusieurs fronts, à savoir des sensibilisations à la télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux, dans les lieux de cultes, etc.
Il n’existe pas de moyen plus sûr de riposte contre cette maladie que la communication. Pour preuve, dès que la communication a commencé à s’accentuer sur la maladie, les citoyens ont commencé à avoir une idée sur cette pandémie, comment se comporter en cas de problème et sur la personne à qui se référer en cas de symptôme de la maladie comme le montre cette étude de Looka.
Graphique 7 : Réactivité face aux symptômes
Source : Enquête Looka, 2020
Une étude récente menée en 2021 dans quatre capitales Africaines à savoir Cotonou, Lomé, Abidjan et Conakry démontre que 35% des répondants savent que s’ils commencent à ressentir certains symptômes de la covid-19 qu’ils doivent aller voir un médecin. Ça c’est grâce à la communication des autorités sur la covid-19. C’est déjà une grande avancée qui ne doit pas s’arrêter là.
La radio, la télévision et les réseaux sociaux ont servi de moyens de communication non seulement à l’Organisation Mondiale de la Santé, mais également à ceux qui sont en charge de la lutte contre cette pandémie. Les messages relayés par ces canaux ces derniers moments ont porté essentiellement sur les mesures de prévention contre la covid-19 notamment la distanciation sociale, le port de masque et le lavage des mains ainsi que d’autres moyens de lutte contre la covid-19. Sur le graphique ci-dessous de la même enquête de Luca, il résulte que 70% des répondants pensent que les gestes barrières sont efficaces pour ralentir la propagation de la covid-19.
Graphique 8 : Efficacité perçue des gestes barrières
Source : Enquête Looka, 2020
La communication sur le nombre de cas d’infections et de morts de covid-19 a permis à beaucoup de personnes de prendre au sérieux cette maladie et d’éviter plus de contamination.
Graphique 9 : Source d’information sur la pandémie
Source : Enquête Looka, 2020
Il faut également signaler que la communication à la radio, à la télévision et sur les réseaux sociaux autour des vaccins contre la covid-19 a permis de réduire considérablement l’intox. Ainsi, beaucoup de personnes se sont fait vacciner dans le monde sans crainte. A cela s’ajoutent les sensibilisations faites dans les lieux publics. L’absence d’une véritable stratégie de communication ou manque de communication laisse place à des spéculations de l’intox pouvant servir de frein au processus de lutte contre la covid-19. Cela entrainera des troubles sociaux et la panique au sein de la population, car la communication occupe une place prépondérante dans la lutte contre la covid-19.
Cette même étude de Luca démontre que 28% des répondants tirent leurs informations sur la covid-19 sur les réseaux sociaux, contre 42% à la télévision et 15% à la radio. Cela démontre une fois encore combien de fois la communication occupe une place très importante dans la lutte contre la covid-19 tant sur les réseaux sociaux qu’à la télévision et à la radio. Donc pour une véritable riposte contre covid-19, il faut véritablement une communication de taille autour d’elle pour pouvoir vaincre cette maladie.
iv. La désinformation sur la pandémie et niveau de confiance population/gouvernants
Cette crise sanitaire mondiale que nous vivons nous révèle n’ont seulement à quel point les fausses informations ont circulé mais aussi comment la confiance entre gouvernants et population a été rompue à cause des idées fausses reçues. Cette section sera structurée autour de la désinformation sur l’existence de la maladie, les facteurs de risques, les effets protecteurs de certaines mixtures ou potions et sur le niveau de confiance accordé par la population aux différents acteurs porteurs de message dans cette crise de santé publique.
- La désinformation sur la pandémie
Malgré les campagnes de désinformations, 2/3 des enquêtés dans chacun des pays estiment que le Covid-19 existe. Cela montre que la communication sur l’existence de la maladie a été efficace.
Graphique 10 : La négation de l’existence de la maladie
Source : Rapport ECOWAS, 2020
Au titre des facteurs de risques, l’on note que les fausses idées se focalisent principalement sur la transmission par des animaux sauvages, des animaux d’élevage, des chiens ou chats, la viande ou les œufs insuffisamment cuits, et les moustiques. De plus, il ressort que le risque perçu est directement lié aux messages erronés entendus.
Graphique 11 : Les risques de transmission
Source : Rapport ECOWAS, 2020
Dans la plupart des pays, les populations croient en l’effet protecteur de certaines mixtures contre cette maladie. Il s’agit notamment de l’ail, des boissons chaudes du jus de citron, des feuilles de neem, du thé et même de l’eau de javel et des désinfectants utilisés par voie orale.
Graphique 12 : Croyance en des effets protecteurs
Source : Rapport ECOWAS, 2020
- Niveau de confiance entre population et gouvernants
Les résultats sont très similaires dans tous les pays. Ils montrent que la population a le plus confiance dans les informations relayées par les médias traditionnels notamment la Télévision, la radio, et même par les leadeurs religieux qu’aux informations portées par le Gouvernement. Les médias sociaux demeurent les canaux qui n’ont pas de crédit.
Graphique 13 : Niveau de confiance aux porteurs de messages
Source : Rapport ECOWAS, 2020
v. La gestion de l’information sur la covid 19 dans l’espace communautaire
La gestion de l’information dans l’espace communautaire s’est articulée autour de la coordination et de la production de l’information au sein de cette zone.
- La coordination de l’information
Un Sommet Extraordinaire des Chefs d’Etat et de Gouvernement tenu le 23 avril 2020, par visioconférence, pour examiner l’évolution de la situation et l’impact de la maladie à Coronavirus.
Mise en place des trois comités ministériels de coordination respectivement pour les secteurs de la santé, des finances et des transports pour harmoniser et coordonner la préparation et la réponse régionale.
Mise en place d’un mécanisme d’information sur la pandémie dans les Etats membres. L’aspect est mis sur la sensibilisation sur la maladie.
- La production de l’information
Des communiqués pour exhorter les populations à continuer à mettre en œuvre les mesures recommandées par les Autorités sanitaires, et à respecter les consignes d’hygiène prescrites, (27 janvier 2020 ; 13 février 2020 ; 06 avril 2020).
Bulletin d’information épidémiologiques (EPID) des ministres en charge de la sante de la CEDEAO en urgence pour harmoniser et coordonner la préparation et la réponse régionale, (2020-2021).
Supports visuels (vidéos, affiches, flyers etc…) pour informer sur les risques, les mesures et gestes barrières.
Conclusion et recommandations
- 2/3 des répondants affirment s’informer auprès des médias traditionnels. Les réseaux sociaux occupent une part aussi importante (28%). Cependant, les populations doutent des informations prises sur les réseaux sociaux.
- La connaissance des gestes barrières peut être considérée comme acquise dans la plupart des pays. Toutefois, Des efforts de communication dans des pays spécifiques.
- Il faut veiller à ce que les outils de communication qui mentionnent clairement les symptômes du Covid-19 et tous les facteurs de risques soient utilisés de façon efficiente. Des cabinets professionnels de communication peuvent être mis à contribution.
- Il est important de prendre en compte les langues nationales : les langues officielles en font pas tout.
- Les animations grand public dans le respect des gestes barrières, les communiqués radios en zone rurale, sont autant de facteurs favorisant la transmission du message à toutes les zones.
Ressources
Afrobarometer, outil d’analyse en ligne, https://www.afrobarometer.org/online-data-analysis/
Looka, Communication et perceptions de la vaccination contre la COVID-19 en Afrique de l’Ouest, vembre 2021.
Sur l’éditeur :
Solution think tank
Le réseau de think tanks francophones en Afrique de l’Ouest – @solutiontt – #solutionthinktank
L’idée qui sous-tend solution think tank est de donner aux excellents think tanks francophones une voix plus forte au-delà des frontières nationales et des barrières linguistiques. L’Afrique de l’Ouest, en particulier, manque de plates-formes de coopération dans le domaine de la recherche orientée vers des solutions. Nous sommes fermement convaincus que l’expertise des think tanks ouest-africains doit et peut contribuer à un discours plus global et orienté vers des solutions sur les défis nationaux, régionaux et mondiaux dans les domaines politiques, sociaux, économiques et du développement.
Membres de Solution Think Tank en 2021 : | |
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