Auteurs : Blanche SONON (lead) (Social Watch Bénin), Babacar N’DIAYE (WATHI), Théodore GOLLI (KAS PDWA), Youssef OUATTARA (CRPA), Fodé Naby SANKHON (Stat View International)
RÉSUMÉ
La scène politique en Afrique en général, et particulièrement en Afrique de l’Ouest, est encore largement dominée par la gent masculine. Malgré de réelles avancées enregistrées depuis ces dernières décennies, la problématique de la participation des femmes à la vie politique se pose toujours avec acuité dans la région. Il faut dire que les causes qui sous-tendent cet état de fait sont profondes, complexes et nombreuses. Elles sont tant socio-culturelles, que familiales et historico-religieuses.
Certes, des instruments juridiques ont été adoptés aux niveaux régional et national afin de favoriser une participation féminine plus importante à la vie politique en Afrique de l’Ouest, mais le bilan de la mise en œuvre de ces mesures est mitigé. En effet, malgré leur application, les femmes ouest-africaines sont encore très peu présentes dans les instances de décision, tant au niveau national que local.
Cela tient pour beaucoup à l’absence d’une réelle volonté politique des autorités étatiques, et même également au sein des formations politiques. C’est pourquoi il est primordial d’impulser un réel changement de paradigme sur la question de la participation des femmes à la vie politique en Afrique de l’Ouest. Loin d’être une faveur faite aux femmes, favoriser leur participation effective, à égalité avec les hommes, à la vie politique est une exigence vitale pour la consolidation de la démocratie en Afrique de l’Ouest.
Mots-clés : participation politique, vie politique, femme, démocratie, promotion du genre.
INTRODUCTION
La question de la participation équilibrée et effective des femmes et des hommes à la vie publique de manière générale et particulièrement, dans l’espace politique est un défi global auquel le monde continue de faire face malgré les nombreux engagements internationaux pris par les États, aux fins de l’autonomisation intégrée de la gent féminine. En effet, les femmes sont cloisonnées dans une « bulle monotone » qui leur avait été assignée depuis la nuit des temps.
De ce fait, la société semble ne concevoir la femme que dans une sphère de prédilection qui lui a été assignée, en l’occurrence la gestion des affaires domestiques. Pour l’anthropologue française Françoise Héritier, les sociétés humaines ont toujours présenté « un même trait organisateur : une hiérarchie des catégories de sexe telle que le sexe masculin et les caractères, fonctions et prérogatives qui lui sont attribués collectivement sont considérés comme supérieurs au sexe féminin et aux caractéristiques, fonctions et champs qui leur sont réservés »2. Ainsi, selon l’Union interparlementaire et ONU Femmes (Femmes en politique : 2023), les femmes ne sont chefs d’État et/ou de gouvernement que dans 31 pays et représentent 26,5% des membres du Parlement. Au niveau mondial, un ministre sur quatre est une femme (22,8%).
Ce triste constat est plus accentué en Afrique et particulièrement, dans les pays de l’Afrique de l’Ouest où, le droit des femmes d’accéder à des postes politiques, bien que consacré dans les législations, présente des limites dans son effectivité. En effet, bien que les femmes représentent environ la moitié de la population de la région, elles sont souvent sous-représentées dans les institutions politiques et gouvernementales.
Dans presque tous les pays, la place des femmes dans la vie politique dépend en général de l’attitude des leaders des partis politiques, voire de la volonté politique nationale. Partant, dans ces pays où l’égalité de genre et l’autonomisation des femmes restent au cœur du processus d’intégration régionale, les progrès réalisés ces dernières années en matière de participation des femmes à la vie politique, espace masculin par excellence, se mesurent en « micro-avancées », si bien que le chemin à parcourir est encore long.
Or, la question de la participation des femmes à la vie politique relève des droits humains et constitue une garantie de l’enracinement démocratique dans les sociétés. Elle est essentielle pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) d’ici 2030.
Alors, le présent article offre l’opportunité d’examiner les facteurs limitant cette participation plus effective des femmes à la vie politique et d’analyser les mesures prises sur le plan régional pour corriger ce déséquilibre en termes de représentation, et enfin de formuler des recommandations idoines pour une amélioration continue de la présence des femmes dans les instances politiques en Afrique de l’Ouest.
I. Les raisons des faibles taux de participation des femmes à la vie politique
L’entrée des femmes dans les instances gouvernementales remonte à 1958 au Burkina Faso, 1968 au Mali, 1975 en Mauritanie, 1987 au Niger, 1978 au Sénégal, et 1984 au Tchad3. Le nombre de femmes au sein des gouvernements qui se sont succédés dans ces pays a faiblement évolué passant de 0 à 2 selon les contextes, voire à 7 dans certains cas. Cette analyse de Dr. Elisabeth Sherif datant de 2013 n’a pas vraiment évolué sur la participation des femmes dans les instances gouvernementales.
Malgré les différences culturelles, sociales et historiques évidentes, les inégalités notées dans les expériences des femmes de l’Afrique de l’Ouest sont presque les mêmes en matière de participation aux affaires publiques et précisément, à la vie politique. En effet, dans la plupart des pays de la région, le politique est encore un domaine presqu’exclusivement masculin où existent de nombreuses discriminations à l’égard des femmes. La différenciation des rôles opérés par la tradition ainsi que les facteurs religieux, économiques et institutionnels ont posé les bases de la faible présence des femmes dans la vie politique.
- Les obstacles socio-culturels
Les rôles qui sont attribués à la femme en Afrique de l’Ouest dans l’exercice de sa mission sociale sont pour la plupart restrictifs. En effet, la femme semble être enfermée dans une sphère de prédilection qui se traduit par la gestion de la maternité et des affaires domestiques. Un grand nombre d’auteur.e.s soutiennent que la fonction reproductive des femmes et leur assignation à des rôles domestiques ont été utilisées pour les écarter de la sphère publique du pouvoir4.
« Dans l’opinion commune, on considère que l’un des rôles fondamentaux de la femme est de procréer afin de perpétuer la descendance de la famille. Le plus souvent, ce rôle prédomine sur tous les autres aspects liés à sa contribution au développement de la société. Son rôle va donc consister à s’occuper de ses enfants et de son ménage 5» affirme la doctorante nigérienne Djibril Abarchi Balkissa.
Les différentes sociétés ont fait de la condition biologique de la femme un destin6, justifiant l’introduction d’une division sociale et hiérarchique entre privé et public : aux hommes, la sphère publique et les activités économiques hors du foyer et aux femmes, la sphère privée d’éducation des enfants, de soins aux membres de la famille. Ainsi, elles restent cantonnées aux tâches les moins gratifiantes et valorisées, alors que celles qui sont valorisantes sont attribuées à l’homme7.
Cette division sociale des sexes, caractérisée par une séparation de sphères et une ségrégation spatiale8, est légitimée par différents mécanismes de socialisation à travers lesquels les individus acquièrent les valeurs, les normes, les modèles du groupe auquel ils appartiennent. Malheureusement, certaines de ces idées préconçues constituant des stéréotypes de genre freinent la participation des femmes à la vie publique et pire, aux sphères politiques de prise de décision. Exemple : « la politique n’est pas pour les femmes », entend-on souvent. De même, les catalogues de jouets sont des condensés de stéréotypes de genre. Dans les mentalités collectives de la plupart de nos sociétés, tout est presque sexué ; non seulement les êtres humains mais aussi les plantes, les divinités et les représentations géomantiques.
La différenciation des rôles sociaux prouvée, nous allons ensuite montrer que les femmes sont l’objet de pesanteurs sociales qui engendrent un manque de disponibilité en termes de temps pour une participation plus effective à la vie politique.
- Les obstacles liés aux pressions familiales
Les statuts matrimoniaux des femmes les soumettent-elles à des pressions sociales ? Certaines femmes mariées par exemple ne peuvent s’engager en politique du fait de l’opposition de leurs époux. En effet, le soutien de ces derniers est un prérequis essentiel pour un engagement politique. Dans le cas contraire, les femmes mariées peuvent subir des pressions de tous genres (menace de divorce, imposition de coépouse, pression familiale et économique).
Une ancienne ministre ayant occupé plusieurs postes nous a confié à ce sujet qu’elle a dû abandonner sa « carrière de ministre » sous la pression de son époux. Cette femme a adopté une dynamique de concession, de repli au sein de l’univers domestique. D’autres ont cherché à ménager les apparences et maintenu une très nette distinction entre le privé et le politique.
Le témoignage d’une ancienne députée ivoirienne est édifiant à cet égard : « Dans ma carrière politique, je n’ai jamais connu de résistance de la part de mon époux, parce que je ne lui ai jamais donné l’occasion. Ça veut dire que moi, je suis restée la même, la femme de Victor [nom fictif]. La femme politique c’est dehors, quand je reviens à la maison, je suis madame Saye Victor […] Le dimanche, personne ne cuisine et quand je peux rentrer un peu tôt, je m’efforce de le faire. Bref ! Je fais le distinguo très net entre celle qui doit tenir le discours politique dehors et l’épouse que je suis à la maison dans ses rapports avec son époux qui sont sur un autre registre qui n’a rien à voir avec la politique […], ce qui a facilité les choses. »
Une autre, femme ex-ministre, affirmait : « Moi qui suis ministre, quand j’arrive à la maison, vous ne pouvez pas imaginer tout ce que je fais. Mais si malgré cela, il est frustré, je n’y peux rien ». Ainsi, même quand elles occupent des fonctions dans l’espace public, plusieurs de ces femmes continuent de veiller au bon fonctionnement de leur foyer et de prendre des dispositions pour que leur engagement politique ne puisse avoir des conséquences sur leur ménage. Les pressions venant de l’époux peuvent être d’autant plus fortes qu’il n’y a pas, très souvent, de recours pour ces femmes désemparées9.
Les femmes de l’Afrique de l’Ouest qui désirent faire de la politique rencontrent des contraintes « situationnelles » liées à leurs rôles et statut. Elles croulent indéniablement, sous le poids de leurs responsabilités domestiques et familiales, la grande majorité d’entre elles manque de temps et de « quiétude d’esprit » pour s’adonner à la politique. Qui plus est, pour les femmes africaines, le soutien familial n’est pas toujours facile à obtenir. « [C]’est pourquoi les femmes politiques sont, bien souvent, veuves ou divorcées. Celle qui n’est pas prête à sacrifier sa vie privée ne peut pas faire de politique10 » observe la militante féministe sénégalaise Marie Angélique Savane.
Selon certains témoignages recueillis auprès des femmes, les enfants ne constituent pas une contrainte majeure à l’activité politique, notamment parce que les horaires de travail n’y sont pas rigides ou que les enfants de plusieurs des répondantes sont déjà adultes au moment de notre enquête. Pour la plupart, leur implication en politique ne semble, non plus, avoir entaché la qualité des soins qu’elles ont accordés à leurs enfants. Mais, des facteurs historiques liés à la colonisation ont réduit voire, annihilé, le peu de pouvoir politique qu’elles détenaient.
- Les obstacles historiques d’ordre colonial et religieux
D’une part, les organisations politiques précoloniales connaissaient un équilibre entre les sexes dans la formulation et la mise en œuvre des politiques, ainsi que la participation des femmes dans le processus politique. Pierron Gomis (2004) évoque les biographies d’un certain nombre de figures féminines qui auraient marqué « l’époque du temps jadis », l’histoire politique précoloniale. Sont citées par exemple, les princesses Yennenga et Pabré de la société moaga du Burkina Faso, Yaa Asantiwa, reine mère Ashanti au Ghana qui aurait opposé une résistance au pouvoir britannique et Kimpa Vita, plus connue sous le nom de Dona Béatrice, qui elle, se serait opposée au colonialisme portugais, etc. Chez les Akans dans la légende, la reine ABLA Pokou fait montre de la présence des femmes dans la vie politique en tant que reine mère qui sauva le peuple baoulé d’un destin tragique11.
Mais, la colonisation a modifié les circuits sociaux, économiques et politiques au détriment de la gent féminine en Afrique de l’Ouest. En effet, les femmes étaient en réalité, les nourricières de leur communauté12. Les activités champêtres leur procuraient de petits revenus qui leur assuraient une modeste indépendance économique mais, la modernisation de l’agriculture à l’époque coloniale a ruiné ce modeste équilibre et creusé un fossé encore plus profond entre les hommes et les femmes, au détriment de ces dernières dans la mesure où, les réalités de pouvoir existantes qui concernaient certaines catégories de femmes en fonction de leur âge, de leur statut social ou encore de leur poids économique, étaient ignorées.
Les seuls interlocuteurs des autorités politiques coloniales n’étaient que des hommes. Par exemple, les femmes des chefs Ashanti du Ghana ont perdu avec la colonisation leur rôle officiel d’intérimaires en cas d’absence de leurs conjoints.
Par ailleurs, la pauvreté13 qui, dans l’espace de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), a un visage féminin fait aussi partie des causes de la faible participation des femmes à la vie politique. Mais, les femmes rurales, plus vulnérables économiquement car réduites aux secteurs de l’agriculture traditionnelle, du petit commerce surtout informel, luttent pour l’amélioration de leurs conditions de vie pénibles alors que les femmes urbaines luttent pour accéder aux postes de responsabilité.
Enfin, dans les sociétés ouest-africaines, malgré la panoplie de textes de loi aux plans national, régional et international, la présence des femmes dans les sphères politiques demeure insignifiante en raison des pratiques politico-judiciaires qui engendrent une faible application desdits textes de loi.
II. Les mesures législatives correctives prévues aux niveaux régional et national
Afin de corriger le déséquilibre entre les femmes et les hommes en matière de participation à la vie politique, plusieurs mesures ont été prises à l’échelle communautaire et au niveau des États de l’Afrique de l’Ouest.
- Les mesures prises au niveau régional pour le renforcement de la participation des femmes
A l’échelle mondiale et donc, en Afrique de l’Ouest aussi, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 a été la première tentative de codification des normes pour tous les peuples et nations en faveur de la promotion de la dignité humaine.
Au plan régional, nous pouvons citer entre autres : la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme (CEDEF 1979), la Plateforme d’action de Dakar (1994), la Politique genre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO 2002), le Protocole à la charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (2003), la Déclaration solennelle des Chefs d’États de l’Union africaine sur l’égalité́ entre les hommes et les femmes en Afrique de l’Ouest (2004), la Politique genre de l’Union africaine (2008).
- Les mesures prises au niveau des Etats
Pour créer un cadre juridique propice à la participation plus effective des femmes et des hommes à la vie politique, certains pays de l’Afrique de l’Ouest ont inséré dans leurs législations, des mesures temporaires spéciales (parité, quotas, financement spécial, etc.).
Il s’agit des pays comme :
– la Guinée à travers l’édiction de la loi n° 2019 /0011 du 09 mai 2019 instituant la parité entre hommes et femmes pour l’accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives dans les institutions publiques ;
– le Sénégal, par l’adoption de la loi n° 2010-11 du 28 mai 2010 instituant la parité absolue homme-femme. Cette loi votée par l’Assemblée nationale du Sénégal dispose que la moitié des candidats de chaque parti doivent être des femmes. Elle a été adoptée par le Sénat le 19 mai et promulguée le 28 mai 2010. Grâce à elle, le Sénégal a vu la proportion des femmes élues doubler. Le 1er juillet 2012, 64 femmes ont été élues à l’Assemblée sur 150 députés, soit 42,7%, ce qui place le pays au sixième rang dans le monde, après le Rwanda (63,4 %), Andorre (50 %), Cuba (48,9 %), la Suède (44,7 %) et les Seychelles (43,8 %). Ce tournant décisif dans l’histoire du Sénégal est le fruit de la lutte de plusieurs générations, arrivée à maturité14 ;
– la Côte d’Ivoire a renforcé son arsenal juridique par la loi n°2019-870 du 14 octobre 2019 favorisant la représentation des femmes dans les assemblées élues. L’article 4 de cette loi dispose : « tout parti politique ou groupement politique dont la liste atteint au moins 50% de femmes candidates, lors des scrutins prévus à l’article 2 de la présente loi, bénéficie d’un financement public supplémentaire » ;
– le Burkina Faso, par la mesure relative à la loi n°003-2020/AN portant fixation de quota et modalités de positionnement des candidates et des candidats aux élections législatives et municipales au Burkina Faso ;
– le Niger à travers la Loi n° 2015-052 du 18 décembre 2015 instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives ;
– le Bénin qui a modifié sa loi électorale en 2019 et qui prescrit un quota de sièges réservés aux femmes afin d’améliorer leur présence au parlement. Mais, il est à noter que ladite mesure n’est pas élargie aux élections locales.
- Le bilan de la mise en œuvre des mesures prises pour le renforcement de la participation des femmes
Malgré tous les engagements pris dans différents pays africains à travers leurs législations et les efforts consentis à cet effet, les États sont encore loin d’avoir atteint la participation égale et effective des femmes dans le processus de décisions politiques. En Afrique de l’Ouest, la situation est particulièrement critique. Beaucoup d’efforts restent à consentir pour pouvoir rehausser le niveau de participation des femmes à la vie politique, car le constat est alarmant.
En effet, selon le premier Baromètre mené par International-Idea sur la participation politique des femmes en Afrique en 2021, celles-ci représentent 24% des 12.113 parlementaires en Afrique (25% dans les chambres basses et 20% dans les chambres hautes du Parlement). Alors que les collectivités locales/administrations régionales sont souvent considérées comme « le terrain d’entraînement » pour les femmes en politique, elles ne représentent que 21% des conseillers dans 19 pays pour lesquels des données ont pu être recueillies15.
Graphique I : Participation politique des femmes en Afrique de l’Ouest – Indicateurs clés 2021
Les femmes sont encore très peu présentes dans les conseils des ministres (22%) et brillent par leur absence dans les postes les plus élevés de prise de décisions.16 Les femmes africaines n’occupent que 12% des six postes les plus élevés dans la hiérarchie des partis politiques au pouvoir et dans l’opposition, et 7% des plus hauts postes politiques (Présidentes, Vice-Présidentes, Premiers ministres et vice-Premiers ministres) à travers le continent17.
La situation reste très critique en Afrique de l’Ouest, car jusqu’à présent, il n’y a que 20% des maires et 19% des Ministres qui sont des femmes. Pire encore, elles ne sont que 11% à occuper la direction des partis politiques, 7% des postes de direction et seulement 2% au sein des collectivités locales/administrations régionales d’après ce même Baromètre.
Selon l’Union interparlementaire (UIP), depuis la quatrième conférence mondiale des femmes à Beijing en 1995, soit il y a près de 30 ans, la représentation des femmes au Parlement n’a augmenté que de 10%, passant de 15% à 25%. A ce rythme, cela prendrait 50 ans (jusqu’à 2070) pour atteindre l’égalité du genre18.
Graphique II : Les femmes parlementaires en Afrique au fil du temps
En effet, d’après le classement de l’UIP, en termes de représentation des femmes au Parlement en Afrique, la meilleure performance revient au Rwanda (avec 61% de femmes au Parlement) tandis que la pire est celle du Nigéria, qui occupe la 180ème place dans le tableau global avec seulement 6% de femmes parlementaires.19
Le graphique II montre qu’il y a eu un certain progrès durant les deux dernières décennies en termes de Participation politique des femmes (PPF) en Afrique. La représentation des femmes dans les chambres basses du Parlement (propre à tous les pays africains) a augmenté, passant de 9% en l’an 2000 à 25% en 2020, soit une hausse de 16%.20
La représentation des femmes dans les chambres basses est plus faible et les augmentations ont été les plus lentes en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest.21 Sur le plan local et national, la participation des femmes au parlement reste faible en Afrique avec 24% et 21% au gouvernement local. En Afrique de l’Ouest, elle reste encore plus faible avec 16% au parlement et 2% au gouvernement local comme l’indique le graphique III.
Graphique III : Représentation des femmes au Parlement et dans les collectivités locales/administrations régionales en Afrique
En comparant ces résultats de 2021 à ceux de l’étude récente réalisée en cette année 2023 par l’Union Interparlementaire, il ressort que la participation des femmes à la vie politique reste toujours en dessous des 50% dans les pays ouest africains.
D’après ces résultats, pour ce qui est de l’occupation des sièges au parlement, sur les 16 pays de la CEDEAO, seuls quelques-uns se démarquent. Dans le top 5 des pays ayant le plus de femmes qui siègent au parlement, nous avons le Sénégal qui vient en tête avec 46,1%, ensuite le Cap vert avec 41,7%, le Niger 30,7%, la Guinée 29,7% et le Mali avec 28,6%. Le bas du tableau est occupé par le Liberia avec 11,0% et la Gambie avec seulement 8,6%. Des efforts restent donc à fournir pour pouvoir atteindre l’objectif comme le démontre le graphique IV.
Graphique IV : Représentation des femmes au Parlement dans l’espace CEDEAO
(Source : Union interparlementaire, Situation au 1er janvier 2023)
Toujours selon ce même classement de l’Union Interparlementaire de 2023, la situation est critique quant à l’occupation par les femmes des postes ministériels dans l’espace de la CEDEAO. Aucun des 16 pays n’avoisine les 40%.
Dans le top 5 au niveau des pays ouest-africains, le Cap Vert occupe la tête du classement avec 31,1%, suivi du Liberia avec 29,4%, la Guinée avec 25,9%, le Togo avec 23,1% et la Côte d’Ivoire avec 21,9%. Le bas du tableau est occupé par la Mauritanie avec 13,6% et le Nigeria avec 10,7% de femmes ministres, comme le montre le graphique V.
Graphique V : Représentation des femmes aux postes ministériels dans l’espace CEDEAO
(Source : Union interparlementaire, Situation au 1er janvier 2023)
Il faut reconnaitre que des efforts sont fournis par certains États, pour se maintenir en haut du classement quant à la participation des femmes dans la vie politique, notamment le Cap vert et la Guinée qui sont restés dans le top 5 des deux niveaux de classement.
Pour ce qui est des femmes chefs d’État, la situation est très alarmante, car il n’en existe pas dans l’espace CEDEAO. Mais, il est à noter que le Bénin a une Vice-présidente. Quant au poste de Premier ministre, le Togo est actuellement le seul pays dans la région à porter une femme à cette position, ce qui est largement insuffisant.
Il est aussi important de signaler que dans toute la communauté, c’est seulement au Liberia et au Togo que des femmes sont présidentes des parlements. La Côte d’Ivoire vient également d’enregistrer une avancée salutaire avec l’élection de Madame Kandia CAMARA à la tête du Sénat22. Il faut reconnaitre à ce sujet que le Togo rejoint le cercle des pays de l’Afrique de l’Ouest qui fournissent des efforts pour permettre aux femmes d’occuper des postes de décision, même si beaucoup reste à faire.
Ces résultats montrent une fois de plus, le faible taux de participation des femmes à la vie politique et le travail qui reste à faire, afin de permettre une réelle participation égale et effective.
A ce jour, seul le Liberia a été dirigé par une femme avec l’ancienne présidente Ellen Johnson Sirleaf, du 16 janvier 2006 au 22 janvier 2018. En somme, nous pouvons dire que des efforts sont en train d’être fournis, mais beaucoup restent encore à faire pour pouvoir atteindre les engagements que nos États ont pris en faveur d’une participation effective des femmes dans la vie politique au sein de l’espace CEDEAO.
- Les recommandations pour améliorer la participation des femmes à la vie politique
Comme développé plus haut dans cet article, plusieurs obstacles majeurs empêchent les femmes de participer pleinement à la vie politique. Il s’agit des obstacles socio-culturels, des obstacles structurels qui font que des lois et des pratiques limitent encore les possibilités qui s’offrent aux femmes de participer de manière plus effective à la vie politique.
Les femmes sont moins susceptibles que les hommes de disposer de la formation et des ressources financières nécessaires pour accéder à certaines fonctions politiques. Ces quelques recommandations, nous semblent, si appliquées, capables de soutenir efficacement la participation politique des femmes :
Contribuer à la formation des femmes dans la sphère politique
Il y a un réel besoin de mettre en œuvre des actions pour plus et mieux renforcer les capacités et les compétences des femmes afin qu’elles puissent non seulement être présentes dans les instances, mais aussi qu’elles puissent participer pleinement à la prise de décisions. Pour y arriver, il faut d’abord investir dans l’éducation des filles et leur formation. Il s’impose par conséquent de renforcer toutes les initiatives en faveur de leur maintien à l’école, et leur permettre ainsi d’atteindre un niveau élevé d’enseignement, qui souvent fait défaut pour les aider à participer pleinement à la vie politique.
Cette éducation est la voie pour assurer la compréhension des réalités politiques, de la mission d’élue ou de nommée ; et donc pour une plus large participation. Ensuite, pour celles qui sont déjà sur le terrain politique, il y a un besoin réel d’accompagnement, de formation sur les politiques publiques et de suivi. Pour assurer cela, il est important d’identifier les points sur lesquels les femmes ont mis l’accent comme contraintes dans l’exercice de leurs fonctions.
Ainsi, mener des formations et veiller au renforcement des capacités de ces femmes sur les missions d’un élu par exemple, sur les textes des collectivités territoriales, sur la communication, sur la prise de parole en public et l’importance d’avoir confiance en soi et de s’exprimer quelle que soit sa langue, etc…
Pendant longtemps les formations étaient plus portées par des organisations de la société civile et plus tournées vers la représentativité, c’est-à-dire permettre l’entrée des femmes dans les instances, et moins vers l’exercice de la fonction. Il faudrait qu’elles soient désormais plus portées par les organisations politiques (partis), les instances (assemblée, instances locales…) et qu’elles s’inscrivent dans la durée.
Approfondir le plaidoyer et la compréhension sur l’importance de la participation politique des femmes
Il y a encore tout un travail à faire pour approfondir la compréhension et tout le plaidoyer sur la participation politique des femmes. Ce travail doit d’abord être porté par l’ensemble des acteurs politiques, de la société civile, mais aussi par les femmes elles-mêmes. Il s’agit de montrer qu’une participation politique plus importante des femmes n’est pas une faveur en leur direction, mais plus encore une réponse à une exigence démocratique et de l’évolution de la société.
Pour ce faire, il faut que le débat se pose. Il faut une prise de conscience, au niveau des acteurs du jeu politique, mais aussi des institutions de l’État, de la nécessité de faire tomber les « barrières » à la présence des femmes dans les hautes instances politiques. Un travail approfondi doit être fait sur l’importance d’avoir des femmes à tous les niveaux de la vie politique.
Les acteurs doivent dans leurs pratiques, contribuer à la promotion des droits des femmes et, fondamentalement, de leur droit à un égal accès aux fonctions et postes politiques.
Il est établi que la représentation paritaire des femmes et des hommes dans la vie politique est l’un des fondements de la démocratie. « Il ne saurait y avoir de démocratie sans un véritable partenariat entre hommes et femmes dans la conduite des affaires publiques où hommes et femmes agissent dans l’égalité et la complémentarité, s’enrichissant mutuellement de leurs différences », peut-on lire dans la première partie de la Déclaration universelle sur la démocratie consacrée aux principes de la démocratie. La réalisation de cet objectif est une question de volonté politique.
Renforcer et appuyer les réseaux de femmes investies en politique
Les femmes investies dans le champ politique doivent renforcer les réseaux formels ou informels afin d’accentuer leurs actions et partager les meilleures pratiques pour une présence plus soutenue. Les initiatives visant à appuyer les jeunes femmes afin qu’elles soient plus présentes sur le terrain politique doivent être largement partagées dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Ces dernières années, on observe également une augmentation du nombre d’organisations de la société civile dirigées par des femmes qui travaillent au renforcement des droits de ces dernières. Il faudrait la même mobilisation et la même détermination en faveur du soutien des jeunes femmes déjà en politique ou qui souhaitent se lancer dans une carrière. Ces organisations peuvent aussi être les réseaux régionaux de jeunes femmes politiques pour renforcer l’action en Afrique de l’Ouest.
Impulser des changements à travers une volonté politique forte portée par les Chefs d’État
Il est souvent noté, malgré les nombreux engagements pris sur la scène internationale, le manque d’une réelle volonté politique au sommet des États pour accompagner les femmes sur la scène politique. S’il peut être long et complexe de changer le poids des traditions, il est souvent plus simple de changer les dispositifs institutionnels.
Prenant l’exemple du Sénégal, si la volonté du Président Abdoulaye Wade a été déterminante dans l’adoption de la loi sur la parité, le manque de cette même volonté chez le président Macky Sall à s’inscrire dans la même logique égalitaire renforce le statu quo, comme en atteste la baisse du pourcentage de femmes élues entre la législature de 2012 et celle de 2017. On a pu observer le faible nombre de femmes à la tête des instances locales ou encore les cas de non-respect de la parité dans certaines localités du pays.
De ce qui précède, nous pouvons retenir que les dispositions juridiques seules ne suffisent pas. Celles-ci doivent être accompagnées de mesures politiques fortes favorables à une meilleure participation politique des femmes, et il importe en plus de les faire appliquer pleinement. Il faut alors :
Rehausser la place des femmes au sein des partis politiques
Les éléments déterminants pour accéder au sommet de la carrière politique restent attachés à des types de ressources collectives – liées à la position au sein du parti. Les réticences dont peuvent faire preuve les partis politiques et les instances dirigeantes à l’encontre des mesures pour favoriser la progression de la représentation des femmes en politique sont autant d’obstacles à surmonter. Prenant encore l’exemple du Sénégal, l’adoption de la loi sur la parité n’a pas été suivie par une réelle volonté de la part des acteurs du jeu politique pour permettre aux femmes de faire éclore leur leadership politique au sein des partis politiques.
La majorité des partis politiques au Sénégal comme en Afrique de l’Ouest continuent d’être dirigés par des hommes. Les femmes sont certes présentes dans les partis politiques, mais le plus souvent n’y jouent que le rôle secondaire de « mobilisatrices ». Elles sont peu présentes dans le bureau politique, socle du parti, et aux postes stratégiques.
Ainsi, si les femmes n’occupent quasiment pas les postes les plus stratégiques au sein des partis politiques, à ce niveau c’est tout à fait normal que les choses prennent du temps pour qu’elles puissent se hisser en nombre aux postes les plus élevés dans les instances de décisions. Il n’y a pas d’institutions ayant un plus grand impact sur la participation politique des femmes que les partis politiques. Dans la plupart des pays, ce sont les hommes qui se chargent du recrutement et de la sélection des membres du directoire et qui décident des questions qui figureront dans leur programme.
Les perspectives de promotion politique des femmes sont donc largement dépendantes de leur présence au sein des partis politiques ou de la façon dont ces derniers encouragent et renforcent leur participation et l’accession à des postes de responsabilité. Construire une dynamique favorable à la participation des femmes au sein de ces organisations politiques, devient dès lors primordial pour y rehausser le statut de la femme et régler la problématique de leur leadership.
Au-delà de ces quelques aspects, force est de constater que mener une réflexion sur la participation des femmes à la vie politique dans la région, ne peut se faire sans reconnaitre que, tant que les femmes continueront à subir des discriminations dans les autres domaines (économique, social), il leur sera très difficile d’atteindre l’égalité souhaitée dans le champ politique. D’où l’importance de reconsidérer toute la situation générale en ce qui concerne la place des femmes et les barrières auxquelles elles sont confrontées dans la société, afin de prendre des mesures juridiques et politiques efficaces pouvant pallier ces déséquilibres.
Respecter les fondements de l’État de droit
Ce point est primordial dans la mesure où c’est dans un État de droit où il y a une bonne gouvernance qu’on peut avoir une participation effective de toutes les composantes de la société, y compris les femmes. Il faut donc retourner aux fondements de l’État de droit et adopter une démarche inclusive avec tous les acteurs pour, non seulement aller vers une « re-conception » de la perception de la participation politique des femmes, mais aussi pour montrer l’enjeu sociétal lié à cette participation effective.
Bibliographie
Ouvrages
1) Françoise Héritier, Hommes, femmes : la construction de la différence, Paris, Le Pommier/Universcience, 2010, 191 pages.
Articles
1) Bérengère Marques-Pereira, Catherine Gigante, « La représentation politique des femmes, des quotas à la parité ? », Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1723, 2001, pp. 5-40.
2) Farinaz Fassa, Marta Roca i Escoda, « Entretien : Fatou Sarr, sociologue féministe. Parcours de la loi sur la parité au Sénégal », Nouvelles Questions Féministes, vol. 35 n°2, 2016, pp. 96-107.
3) Gérôme Truc, « Les livres : Collins (Randall). – Violence : a micro-sociological theory », Revue française de sociologie, vol.51 n° 1, 2010, pp. 158-161.
4) Gérôme Truc, « La violence en situation. Entretien avec Randall Collins », Tracés. Revue de Sciences humaines, n° 19-2, 2010, pp. 239-255.
5) Nicole Loraux, « Maurice Godelier : La production des Grands hommes. Pouvoir et domination masculine chez les Baruya de Nouvelle-Guinée », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n° 6, 1983, pp. 1264-1268.
Rapports et communications
1) Commission de l’UEMOA, Rapport régional de suivi des plans nationaux de développement ou stratégies de réduction de la pauvreté axé sur les objectifs de développement durable, Ouagadougou, 2020, 63 pages.
2) Djibril Abarchi Balkissa, Communication sur la participation politique des femmes en Afrique – Cas de la Zone CEDEAO, 2013, 09 pages.
3) Elisabeth Sherif, La participation politique des Femmes au Sahel, Conférence de haut niveau sur le leadership des femmes dans les pays du Sahel, 2013, 15 pages.
Thèse
1) Palingwindé Inès Zoé Lydia Rouamba, La participation des femmes à la vie politique au Burkina (1957 – 2009), Thèse présentée comme exigence partielle du doctorat en sociologie, Université du Québec à Montréal, 2011, 444 pages.
Documents internet
1) International-Idea, FAWE, FEMNET, Gender Links, IFAN Gender Laboratory, PADARE et WLSA (Consortium), « African women’s political participation barometer », 2021, https://www.idea.int/sites/default/files/publications/womens-political-participation-africa-barometer-2021-resume-executif-fr.pdf
2) Jeune Afrique, « En Côte d’Ivoire, Kandia Camara élue présidente du Sénat » (journal), https://www.jeuneafrique.com/1492287/politique/en-cote-divoire-kandia-camara-elue-presidente-du-senat/
3) Jeune Afrique, « Marie-Angélique Savané » interview par Valérie Thorin (journal), https://www.jeuneafrique.com/128798/archives-thematique/marie-ang-lique-savan/
4) Union interparlementaire (UIP) et ONU Femmes, « Femmes en politique : 2023 », https://www.unwomen.org/fr/digital-library/publications/2023/03/women-in-politics-map-2023
Sur l’éditeur :
Solution think tank
Le réseau de think tanks francophones en Afrique de l’Ouest – @solutiontt – #solutionthinktank
L’idée qui sous-tend solution think tank est de donner aux excellents think tanks francophones une voix plus forte au-delà des frontières nationales et des barrières linguistiques. L’Afrique de l’Ouest, en particulier, manque de plates-formes de coopération dans le domaine de la recherche orientée vers des solutions. Nous sommes fermement convaincus que l’expertise des think tanks ouest-africains doit et peut contribuer à un discours plus global et orienté vers des solutions sur les défis nationaux, régionaux et mondiaux dans les domaines politiques, sociaux, économiques et du développement.
Membres de Solution Think Tank en 2023 : | |
CADERT (Togo) | CAPES (Burkina Faso) |
CIRES (Côte d’Ivoire) | CRPA (Côte d’Ivoire) |
CROP (Togo) | Chatham House (Royaume-Uni) |
Institut de Stratégies (Côte d’Ivoire) | IPED (Guinée) |
Konrad-Adenauer-Stiftung (Afrique de l’Ouest) | Social Watch (Bénin) |
Stat View International (Guinée) | WATHI (Sénégal) |