Côte d'Ivoire, Konrad Adenauer Stiftung

Enquête sur la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEDEAO – Cas du Bénin et de la Guinée

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INTRODUCTION

Depuis plus d’une décennie, et en dépit des défis politiques et sécuritaires, l’Afrique de l’Ouest peut se vanter d’une croissance économique soutenue. Mais ce succès s’est construit, en large partie, sur des bases productives assez traditionnelles – l’agriculture, le pétrole, l’or…en somme, les commodités souvent peu ou pas transformées.

La diversification des sources de richesse et d’emploi est donc un enjeu capital. Et, avec une population de plus de 350 millions d’habitants et une superficie de 6 millions de km2, les échanges à l’intérieur de ce marché régional peuvent fortement y contribuer : elle offre de grandes possibilités pour le commerce comme pour l’industrie manufacturière, et elle pourrait encourager la transformation d’une plus large gamme de produits agricoles.

Avec ses quinze (15) Etats membres : Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte D’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Mali, Libéria, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo, la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest est un énorme potentiel humain et économique.

Mais ces échanges commerciaux – actuels, de nos jours, ou potentiels, l’avenir – sont condamnées à traverser les frontières entre pays ouest-africains, des passages de frontières trop souvent encombrés d’obstacles aux exportations et importations entre pays membres de la CEDEAO (la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest).

Le Traité de la CEDEAO de 1975, révisé en 1993, établit une zone de libre-échange dans le cadre du Programme de libéralisation des échanges de la CEDEAO (PLEC). Les différents protocoles et décisions ont pour vocation d’asseoir une zone de libre-échange, qui d’après le rapport de West Africa Trade Hub constitue un précurseur pour aboutir à une union douanière à part entière et, à terme, à un marché commun.

L’espace CEDEAO a toujours été un espace d’extrême mobilité des populations. L’essentiel des flux migratoires se fait par voie terrestre à travers plus de 15000 Km de frontières entre les pays de la CEDEAO.

Le rapport de West Africa Trade Hub produit en Avril 2010, a relevé de nombreuses lacunes en ce qui concerne le niveau d’application du protocole sur la libre circulation des personnes et des biens à l’interne des états et entre les pays de la CEDEAO. Ce rapport a abouti à des recommandations qui devraient permettre aux pays de la CEDEAO d’améliorer le niveau de mise en œuvre des protocoles et décisions relatifs à la libre circulation des personnes, des biens et des véhicules de transports.

Près d’une décennie après la sortie de ce rapport et au terme de l’horizon 2020, qui est celui de la CEDEAO des peuples, il est attendu, d’une part que les citoyens de l’espace communautaire soient plus informés sur les protocoles et décisions et qu’ils deviennent donc de véritables acteurs de la création de cet espace communautaire et de l’intégration régionale. D’autre part, il est espéré des avancées notables dans la mise en œuvre du PLEC.

C’est en vue d’apprécier le niveau de mise en application et les avancées qu’une enquête sommaire a été réalisée sur la libre circulation des personnes et des biens aux postes frontaliers du Bénin et de la Guinée et auprès des parties prenantes impliquées dans la mise en œuvre au plan national des protocoles et décisions relatifs à la libre circulation des personnes et des biens.

Cet étude, basée sur des recherches de terrain – des interviews avec des commerçants, transporteurs et fonctionnaires – cherche à prendre la mesure de ces obstacles, formels et informels, à trois postes

frontières importantes dans la région ouest-africaine, à Sémé-Kraké (Bénin/Nigéria), Hillacondji (Bénin/Togo) et Thiola (Guinée/Guinée-Bissau).

En étudiant ces exemples, ce papier cherche à mieux capter la réalité de l’expérience de ceux qui s’engagent dans le quotidien des échanges économiques entre les pays de la région pour mieux comprendre les obstacles qui freinent leur activité et stimuler la réflexion sur d’éventuelles réformes qui pourraient mieux faciliter le commerce entre pays ouest-africains.

La collecte de données dans le cadre de cette enquête a été faite avec les guides d’entretien pour les entretiens institutionnels avec les fonctionnaires de la police, de la douane, des affaires étrangères, de la cellule de suivi de l’intégration régionale (pour le Bénin) de la Chambre de Commerce et d’Industrie. Quant aux usagers des postes frontaliers que sont les voyageurs, les transporteurs et les commerçants, ils ont été soumis à des questionnaires aux postes frontaliers de Sémé-Kraké (Bénin/Nigéria), Hilacondji (Bénin/Togo) et Thiola (Guinée/Guinée-Bissau).

En parallèle avec les travaux de notre groupe de recherche, Afrobaromètre a préparé une analyse de ses propres recherches sur les conditions de passage à la frontière entre le Bénin et le Togo, basé sur des recherches quantitatives en 2017 et des interviews qualitatifs en janvier 2020. Ce travail nous offre une utile mesure comparative, tout en tenant compte de différences méthodologiques avec les paramètres de nos recherches. Nous en tirons donc quelques conclusions au cours du texte qui suit.

Le Benin, en marche vers une mise en œuvre intégrale du protocole sur la libre circulation des personnes et des biens ?

Le Bénin partage ses frontières avec quatre pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, à savoir, le Burkina Faso, le Niger, le Nigeria et le Togo, pour un total de 2 123 km. Sur l’axe Abidjan-Lagos, le Bénin est frontalier à l’Est avec le Nigéria (Sèmè Krake) et à l’Ouest avec le Togo (Hillacondji). Ces deux villes constituent respectivement les points d’entrée officielle au Bénin en provenance du Nigéria et du Togo.

Le rapport de la Task Force sur la mise en œuvre du Schéma de Libéralisation des Echanges de la CEDEAO a reconnu le Bénin comme un modèle en matière de libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEDEAO. Cette reconnaissance a été confirmée par les données recueillies tant auprès des usagers que des institutions en charge de la mise en œuvre du protocole au plan national.

Sur la libre circulation des personnes

Le Bénin facilite la mise en œuvre du protocole sur la libre circulation des personnes, à travers la reconnaissance de la carte d’identité comme la pièce exigée aux citoyens de l’espace, la non exigence de visa et la sensibilisation des usagers sans pièces. Malgré cet effort, de nombreuses difficultés persistent aux postes frontaliers parce que beaucoup d’usagers se présentent sans aucune pièce. Environ 50% des usagers interrogés l’affirment, ce qui démontre de la nécessité pour les états de travailler à doter leurs citoyens de pièces d’identité.

Aussi, aucun paiement de frais ne s’observe aux frontières béninoises, ce qui n’est pas le cas des frontières togolaises ou nigérianes ou des faits de corruption sont dénoncés par plus de 80 % des usagers. Ces frais ne sont pas perçus que chez les usagers sans document de voyage mais aussi chez des voyageurs en règle qui sont parfois obligés de payer pour s’assurer une traversée rapide de la frontière.

Les chercheurs d’Afrobaromètre ont également trouvé que les voyageurs éprouvent plus de difficultés, au passage des contrôles togolais, qu’au passage des contrôles béninois.

Le niveau de satisfaction constaté chez les usagers des frontières béninoises est dû à la volonté du gouvernement de lever toutes les barrières entravant la circulation des personnes et des biens sur son territoire et à ses frontières. Ainsi une ligne verte est disponible pour dénoncer et signaler toutes violations ce qui a induit un niveau de discipline des agents de police.

Mais les facilités créées par le Bénin à tous les ressortissants de l’espace ne sont pas appliquées à ses ressortissants aux postes frontaliers sur le corridor Abidjan-Lagos ce qui fait objet de plainte auprès des agents de la police béninoise. Malheureusement, ces derniers ne sont pas en mesure d’y apporter un changement, puisque l’intégrité des agents et l’application effective du protocole dépend de la compréhension, de la volonté de chaque Etat et des mesures mise en place pour faciliter la traversée de leurs frontières. Ces plaintes auprès de la police dénotent tout de même de la méconnaissance du mécanisme de plainte mis en place par la CEDEAO dans le cadre de la mise en œuvre du protocole.

Il est à noter que le Bénin n’a pas encore réussi à assurer à ses ressortissants cette liberté de circulation à travers la mise en disposition de la carte d’identité biométrique conformément au protocole. Néanmoins, des mesures ont été prises pour permettre aux citoyens béninois de disposer des actes d’état civil et très prochainement de la carte d’identité biométrique dont la phase pilote démarre avec les ressortissants béninois au Nigéria.

La libre circulation des personnes, même si elle est effective au Bénin, n’a pas le même niveau d’application dans les autres Etats. Il s’observe aussi que les usagers des postes frontaliers ont une mauvaise perception de la libre circulation qui devrait, d’après certaines réactions aux frontières faire fi de la possession des documents de voyage exigé par le protocole et de tout contrôle.

L’application du protocole par le Bénin soulève d’autres préoccupations d’ordre sécuritaire à cause de la faiblesse de l’effectif des agents et du manque de moyens performants de contrôle et de fouille des usagers.

La libre circulation des biens

Tout comme la circulation des personnes, le Bénin assure une liberté de circulation des biens sur son territoire conformément au protocole. Cette prérogative assurée par la douane ne subit pas d’entraves majeures tant que les produits sont conformes aux exigences communautaires et disposent des documents nécessaires à l’exportation – dont le certificat d’origine et l’agrément SLEC.

Le bon niveau de connaissance qui s’observe chez les commerçants et les transporteurs est de nature à faciliter les formalités douanières. Mais il existe toutefois des acteurs commerciaux béninois qui n’ont pas connaissance du SLEC et de ses exigences, même si le Bénin a pris les mesures nécessaires pour faciliter les formalités de délivrance d’agrément et de certificat d’origine aux entreprises désireuses. En réalité, la place prépondérante que joue le secteur informel dans l’économie béninoise peut justifier cette méconnaissance ou manque d’intérêt pour le SLEC. Le poids de l’informel dans l’ économie béninoise impacte négativement sur la bonne évaluation du dispositif. Le contournement par les acteurs informel des règles établis pour une véritable fluidité de passage des marchandises amène certains Etats à mettre en place des dispositifs non tarifaires

Le Bénin n’a pas d’interdictions en ce qui concerne les produits communautaires comme c’est le cas du Nigéria depuis 20021. Une interdiction qui entrave la liberté de circulation des marchandises conformément au protocole, comme c’est le cas depuis la fermeture de la frontière. En effet, les produits interdits d’accès au Nigéria en provenance du Bénin ou transitant par le Bénin vont au-delà du produit de contrebande (riz) cité par le Nigéria.

Si au Bénin, la célérité est observée dans les formalités en ce qui concerne les produits communautaires, ce n’est pas toujours le cas avec le Nigéria qui met en doute les documents provenant du Bénin ou exige des certifications du Nigéria tels que l’agrément NAFDAC pour les produits agro-alimentaires et l’agrément SON pour les produits manufacturiers avant leur entrée sur son territoire.

Cette situation relevant du désir de protection de l’industrie locale des pays est révélatrice du non respect de la libre pratique et de l’absence de confiance entre les états membres de la CEDEAO sur les différents documents délivrés par les pays d’origine des produits et n’est pas en harmonie avec la vision 2020 de l’organisation, qui reconnait que : « l’intégration des Etats membres en une communauté régionale viable pourrait requérir la mise en commun partielle et progressive de leur souveraineté nationale au profit de la Communauté dans le cadre d’une volonté politique collective»2. Il est aussi vrai que certaines pratiques des entreprises et des transporteurs telles que les fausses déclarations, les surcharges, la falsification des certifications et le non respect des dispositions du code douanier ne sont pas de nature à faciliter le libre-échange dans l’espace.

Aussi, les questions sécuritaires, comme celles soulevées par le Nigéria, posent la problématique de la capacité des états de la CEDEAO à se doter des outils performants pour le scannage des marchandises afin de s’assurer que des produits prohibés n’entrent pas sur leur territoire.

Il faut également noter que la corruption des agents aux postes frontaliers n’est pas de nature à garantir la sécurité des états, ce qui reste un gros frein à la libre circulation des marchandises dans un contexte marqué par le terrorisme.

La pratique du commerce informel notamment avec le Nigéria qui s’est exacerbé avec la fermeture des frontières est révélatrice des entraves que devraient subir les citoyens de l’espace en l’absence d’un protocole sur la libre circulation. En effet si la liberté de circulation des personnes concerne tous les citoyens de l’espace sans aucune exception, celle relative aux biens ne concerne que les entreprises ayant une existence formelle au regard de l’enjeu fiscal lié au protocole.

Ce protocole devrait donc encourager les entreprises à officialiser leurs activités pour bénéficier des avantages du SLEC ce qui n’est pas encore le cas.

Il serait donc intéressant que les états informent leurs citoyens des avantages liés à la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEDEAO, afin d’atteindre la CEDEAO des peuples comme souhaité par les Chefs d’Etats de la Communauté à l’horizon 2020 un horizon qui sera sans doute revu au regard des disparités d’application du protocole et de sa méconnaissance par les citoyens de l’espace qui en sont les premiers concernés.

Dans un contexte, où le Benin a fait des avancées à travers ses politiques internes pour améliorer sa mise en œuvre du protocole, la fermeture de la frontière par le Nigéria soulève d’une part, la question du règlement des contentieux entre Etats.

En effet, une pareille situation ne devrait pas entraver la libre circulation des personnes et des biens à laquelle les différents états ont donné leur accord en signant le protocole en 1979. D’après les témoignages reçus, depuis le 29 Août 2019, date de la fermeture de la frontière, si seuls les usagers ayant des passeports sont autorisés à passer la frontière entre 6 heures et 19 heures, aucune marchandise ne traverse la frontière pour la destination nigériane et vice versa.

D’autre part, la problématique de la place et du rôle des institutions de la CEDEAO dans la gestion des crises entre Etats demeure aussi un épineux sujet qui mérite réflexion et fonderait toute la pertinence et la légitimité de ces organes devant travailler à faire de l’intégration régionale et d’une union économique des réalités.

Concernant les expériences des transporteurs au passage de la frontière Bénin/Togo, les recherches d’Afrobaromètre indiquent qu’il y a plus de frais à payer au Togo qu’au Bénin – un résultat qui est conforme avec les résultats de nos propres recherches.

Les résultats détaillés de ces enquêtes sont présentés dans un document format Excel qui accompagne ce papier de commentaire et d’analyse.

La mise en œuvre du protocole sur la libre circulation des personnes et des biens à l’épreuve de la frontière guinéenne de Thiola

Membre de la CEDEAO, et située sur le corridor Praia-Dakar-Abidjan, la Guinée est frontalière avec six autres pays de l’espace communautaire : le Mali au nord et au nord-est, la Côte d’Ivoire à l’est, la Sierra Leone et le Libéria au sud, la Guinée Bissau à l’ouest, et le Sénégal au nord-ouest.

Tout comme le Bénin, la Guinée a ratifié les différents protocoles relatifs à la libre circulation des personnes et des biens, mais a du mal à rendre effectif de son côté cette ambition sous régionale. En effet, en 2018 lors de la commémoration de la journée de l’intégration de la CEDEAO célébrée à Pamelap, à la frontière avec la Sierra Leone, la représentante résidente de la CEDEAO en Guinée, Mme Liliane Alapini, avait déploré le non respect des textes sur la libre circulation des personnes et des biens aux postes de contrôle. En 2020, la situation ne semble pas avoir évolué, c’est du moins ce qui ressort de l’enquête réalisée à la frontière avec la Guinée Bissau.

L’enquête sur la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEDEAO a été réalisée à la frontière avec la Guinée Bissau, précisément à Thiola dans la préfecture de Boké, chef-lieu de la région du même nom.

Ce poste frontalier est situé à environ 8 km de celui de la Guinée Bissau. Cette frontière entre ces deux pays compte trois accès qui sont Woudjagoli, Thiola et Bérékoé. Elle a la particularité de n’être tenue que par l’armée qui joue le rôle de la police, de la gendarmerie, de la douane, des services environnementaux et de la santé. A environ 60 km de ce poste frontalier se situe le barrage tenu par la douane et la gendarmerie. Le poste de police quant à lui est à 18 km du barrage.

Cette dispersion de ces différents corps sur le parcours, explique les plaintes des usagers et des transporteurs, relatives aux tracasseries.

Cette enquête sur la libre circulation dans l’espace CEDEAO a touché 22 personnes dont 10 commerçants et 12 transporteurs qui ont affirmé traverser souvent la frontière entre la Guinée et la

Guinée Bissau munis de la carte d’identité nationale. Toutefois, le protocole sur libre circulation des personnes et des biens n’est presque pas connu, aussi bien des transporteurs que des voyageurs. La CEDEAO n’est connue des usagers interrogés à cette frontière que par son projet de construction de la route entre la ville de Boké et la Guinée Bissau.

Cet état de fait est à la base de l’ignorance manifestée par les enquêtés sur l’application intégrale de ces protocoles sur les frontières. Il en est de même de leur non implication dans l’application de ces instruments. Pour ce qui relève de la libre circulation des personnes, un cinquième des usagers connaissent quelques documents de voyage exigés que sont : la carte de résidence de la CEDEAO, le certificat de voyage ou du passeport CEDEAO et font l’effort d’être en règle en se dotant de leur pièce d’identité nationale.

Il est tout de même nécessaire pour une bonne connaissance de la CEDEAO et de ses objectifs ou encore la libre circulation des personnes et des biens, que les différentes parties prenantes à la mise en œuvre du protocole soient davantage sensibilisées et informées notamment au niveau du poste frontalier.

Le mauvais état des routes et le nombre élevé de barrages sont unanimement autant de difficultés qui entravent la libre circulation des personnes et des biens à ce poste frontalier. Il faut noter que ce problème est commun à beaucoup de pays de l’espace puisque, dans son journal officiel, la CEDEAO avait rappelé que : les « opérations de transports sur les corridors de l’Afrique de l’Ouest » étaient caractérisées par la vétusté des voie de communications (route, rail), et de surcroît, insuffisamment entretenues ; la méconnaissance et l’interprétation parcellaire des instruments institutionnels et juridique ; les contrôles administratifs et des prélèvements illicites de la Police, de la Douane et de la Gendarmerie (P.D.G) ; les véhicules de transports (route, rail) sont également vétustes et sont pour la plupart inaptées au plombage et au scellement douaniers, indispensables aux échanges inter-Etats.

A ces problèmes s’ajoutent le paiement, en sus des frais formels, des frais informels que la plupart des usagers reconnaissent payer ; pour ce qui concerne les transporteurs, ils sont en fonction du type ou de la marque de véhicule et de la marchandise.

Quant à la célérité des formalités de traversée de frontière, elle dépend du flux d’usagers et peut être de moins d’une heure lorsqu’il n’y a pas beaucoup de véhicules voire d’un jour.

Des questions sécuritaires et sanitaires demeurent également et nécessitent des actions diligentes pour assurer une bonne communication entre les agents à la frontière et leurs bases militaires mais également la fouille des bagages et marchandises qui traversent la frontière ainsi que l’état sanitaire des usagers dans un contexte de terrorisme et d’épidémie.

Si la Guinée a déclaré officiellement avoir éliminé tous les barrages sur son territoire sauf les barrages frontaliers et celui du PK 36 de sa capitale, l’enquête révèle, en effet, que des barrages de contrôle routiers sont installés sur toutes les routes à l’instar de tous les Etats membres de la CEDEAO. L’impact négatif de ces barrages sur le temps de traversée et le coût final de la marchandise est considérable et est traduit par des prélèvements illicites.

Conclusion

L’enquête sur l’application des protocoles sur la libre circulation des personnes et des biens aux postes frontaliers de Sèmè-Krake, de Hilla Condji et de Thiola, met en exergue les divergences d’application qui sont fonctions de la compréhension et des politiques internes mis en place par les états membres.

Les voyageurs, commerçants et transporteurs continuent d’éprouver des difficultés au passage des frontières en dépit des réformes adoptées par les états membres de la CEDEAO pour faciliter le mouvement des personnes et marchandises à l’intérieur de la sous région. Notre enquête de décembre 2019 – janvier 2020 démontre la persistance des difficultés dont témoignaient les recherches de Chatham House 2015 et Afrobaromètre en 2017 et confirme donc que la situation ne s’est pas sensiblement amélioré au cours des dernières cinq années.

S’il existe un poste juxtaposé à la frontière bénino-nigérianne, celui de la fontière bénino-togolaise est en cours de construction. Mais pour ce qui est de la Guinée et de la Guinée Bissau, 8 km de distance sépare les deux postes frontaliers ; ce qui montre que la configuration des frontières et les services publics présents varient d’un pays à un autre et ne sont pas assurés par le même type de personnel.

Il s’observe tout de même que la fréquence de passage aux postes frontaliers demeure le meilleur moyen de connaissance du protocole et de ses exigences comme c’est le cas avec les transporteurs et les commerçants. Mais leur connaissance du protocole et le respect des exigences en termes de libre-échange ne garantit pas l’acceptation de leur produit par les autres pays de l’espace communautaire et n’est pas exempt de tracasseries policières ou douanières diverses comme voulu par le protocole.

Donc, des problèmes majeurs demeurent communs à ces deux pays et peut-être à bien d’autres pays de l’espace et nécessitent des actions urgentes et collectives des états de l’espace communautaire comme :

l’information et la sensibilisation des citoyens et des acteurs impliquées sur le protocole, sa mise en œuvre et ses avantages ;

  • la dotation des citoyens des pays membres de pièces de voyage reconnu par l’ensemble des pays, conformément au protocole ;
  • l’équipement des postes frontaliers en matériels performants de fouille et de contrôle ;
  • la lutte efficace contre la corruption aux postes frontaliers et sur les axes routiers des différents Etats ;
  • l’interconnexion des administrations douanières des pays de l’espace à travers la dématérialisation de la délivrance des agréments par la CEDEAO et leur mise en ligne,
  • la création d’une plateforme commune sécurisée accessible aux services compétents des Etats pour la mise en ligne des principaux documents délivrés par les Etats (certificat d’origine) ce qui faciliterait le contrôle des pièces aux frontières ;
  • la transposition du protocole et ses différents textes d’application dans les législations nationale ;
  • la formation des structures administratives impliquées dans la mise en œuvre du protocole;
  • l’information et la sensibilisation des citoyens sur le protocole et ses exigences,
  • la mobilisation et la mise en commun des ressources propres pour la mise en œuvre du protocole ;
  • la co-création d’ entreprises par des citoyens de l’espace, et l’accès à des opportunités de financement communautaire afin de créer un sentiment d’appartenance des produits à un espace commun et leur libre circulation ;
  • la création d’une monnaie commune pour faciliter les échanges commerciaux.

Face aux difficultés de mise en œuvre du protocole, et l’attitude protectionniste de certains Etats, la volonté – ou manque de volonté des états à aboutir à une réelle intégration régionale et la mise en place d’un marché commun reste un élément primordial. Il faut s’interroger sur l’avenir de l’espace communautaire de la CEDEAO dans un contexte ou le développement d’une zone de libre échange

continentale est en marche et dont la réussite en Afrique de l’Ouest dépendra de la bonne volonté de la CEDEAO et ses états membres.

BIBLIOGRAPHIE

1- Analyse des lacunes de l’intégration des marchés au sein de la CEDEAO : résultats préliminaires, Rapport technique no.33 du West Africa Trade Hub

2- Protocole A/P 1/5/79 sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement

3- Traité révisé de la CEDEAO

4- http://afrobarometer.org/fr/analyse-de-donn%C3%A9es-en-ligne/l%27analyse-en-ligne

5- Nigeria’s Booming Borders, Chatham House, 2015

Coordination : Blanche Sonon

Rédaction : Paul Melly, Pamela Agbozo, Thierno Malick Diallo, Richard Houessou

Collecte et de traitement des données : Social Watch Benin, Stat View International, Afrobarometre

 

Annexe1 : LISTE DES ENQUETES

IDENTITESTRUCTUREEFFECTIFS
Voyageurs 15
Transporteurs/Commerçants 13
Police 1
Douane 1
Sous-Total Sèmè kraké29
Voyageurs 10
Transporteurs/Commerçants 10
Police 5
Douane 1
Sous-Total Hilla condji26
Direction Afrique et Moyen OrientMAE1
Direction des Affaires JuridiquesMAE1
Direction des Relations Economiques et du Commerce InternationalMAE1
Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin 1
Cellule de Suivi de l’Intégration RégionaleDirection de l’Intégration Régionale / Ministère de l’Economie et des Finances1
DouaneDirection du renseignement et des enquêtes douanières1
Ministère du commerce 1
Transporteurs/Usagers frontière Thiola (Guinée)22
Police1
Chambre de Commerce et d’industrie et de l’artisanat de Boke1
TOTAL    86

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