Pouvez-vous présenter votre organisation Social Watch Bénin ?
Créé en mars 2005, le réseau Social Watch Bénin est une organisation dotée du statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations unies. Point national de Transparency International, Social Watch Bénin est composé d’une centaine d’organisations de la société civile béninoise, travaillant dans les domaines du contrôle citoyen de l’action publique, la lutte contre la corruption, l’impunité, le genre et le développement. Le réseau dispose de structures décentralisées sur tout le territoire national.
Ses principaux objectifs sont :
- Renforcer l’efficacité des politiques publiques par le respect des engagements économiques, la transparence budgétaire, l’affectation de ressources à l’accessibilité aux services sociaux de base ;
- Accroitre la qualité des institutions de l’État et œuvrer à la déconcentration effective des structures de l’État ;
- Être une force de proposition pour l’intégrité de la commande publique, la lutte contre la corruption sous toutes ses formes et le suivi en cas de sanctions ;
- Faire des citoyens, des acteurs clés de la gestion publique en les amenant à contribuer au développement local et à participer à la prise de décision ;
- Lutter contre les violences basées sur le genre et les violences faites aux femmes en encourageant d’une part, la dénonciation et en plaidant d’autre part, pour la prise en compte du genre dans la mise en œuvre des projets et programmes de développement aux niveaux local et national ;
- Promouvoir la transparence dans les processus électoraux en encourageant l’égalité des chances et le dialogue politique ;
- Être un défenseur des libertés démocratiques et contribuer à leur restauration.
Quelle est la mission générale de Social Watch, ses liens avec l’État et les autres acteurs de la société ?
Social Watch a pour mission le contrôle citoyen de l’action publique. Dans ce sens, nous intervenons sur les thématiques de la gouvernance économique, sociale et le genre qui est transversal à toutes nos initiatives. Lorsque nous parlons de genre, il faut intégrer les droits humains y compris le droit à un environnement sain. A l’international, Social Watch est un réseau de gouvernance, un think tank qui lutte contre la corruption et qui propose des mesures alternatives aux gouvernements aux fins de l’amélioration des conditions de vie des populations.
Lorsque nous parlons de genre, il faut intégrer les droits humains y compris le droit à un environnement sain
Nous nous efforçons d’influencer les politiques publiques pour l’amélioration des services proposés aux populations afin que la pauvreté puisse régresser sensiblement. Il s’agit de prévenir les malversations afin que les dirigeants puissent avoir plus de ressources financières pour faire face aux enjeux prioritaires de développement. A ce titre, nous faisons le suivi des budgets aux niveaux national et local. L’État et surtout les ministères sectoriels qui fournissent les services sociaux de base sont les cibles de nos plaidoyers. Si vous prônez une gestion efficiente et efficace des ressources publiques, il faut le faire avec pédagogie, c’est pourquoi nous initions des séances de renforcement de capacités à l’endroit des cadres techniques intervenant dans la chaîne des dépenses publiques.
La budgétisation sensible au genre est un thème que les techniciens de l’administration publique ne savent pas s’approprier pour impacter tous les compartiments sociaux. Sur le terrain, nous avons remarqué qu’il y a effectivement des cadres qui ne maîtrisent pas le concept alors qu’il s’agit d’un préalable pour obtenir des résultats. Cette année, nous avons voulu innover en intégrant la budgétisation sensible aux droits des enfants.
Grâce à notre partenariat avec l’UNICEF, nous avons lancé le prix « Initiative communes amies des enfants ». Les communes primées sont : Banikoara, Bohicon, Kalalé, Malanville, N’Dali, Nikki, Parakou, Sinendé, Za-kpota et Zogbodomey. Pour inciter les médias à s’intéresser à la question, nous avons primé deux journalistes. L’autre thématique sur laquelle nous sensibilisons désormais est la « budgétisation verte ».
Quels sont les projets et activités en cours de Social Watch Bénin ?
La lutte contre la corruption est notre cheval de bataille. Le premier levier sur lequel Social Watch Bénin a travaillé est la confiance; le climat de confiance entre les gouvernants de façon générale et surtout entre les ministères sectoriels et au niveau local. L’écoute réciproque est un cachet spécial à Social Watch Bénin.
Nous démontrons ainsi notre professionnalisme et notre attachement à l’intérêt général. Bien vrai qu’au Bénin, il y a encore des difficultés en matière d’accès à l’information publique, mais avouons que Social Watch Bénin en a accès quand même dans la limite du possible. Nous avons su créer, par notre sérieux, un système où les cadres de l’administration ne craignent pas de prêter une oreille attentive aux préoccupations de notre think tank en lui fournissant les informations nécessaires.
Notre atout est notre capacité à nous adapter aux nouvelles donnes par le renforcement des capacités de nos membres. Nous ne disons pas qu’il n’y a pas de difficultés qui se dressent sur notre chemin. Le Bénin est un pays démocratique où on devait observer une ouverture au niveau des trois pouvoirs, mais ce n’est pas encore le cas.
La budgétisation sensible au genre est un thème que les techniciens de l’administration publique ne savent pas s’approprier pour impacter tous les compartiments sociaux
Il y a eu cette année et pour la toute première fois, le lancement de l’indice du parlement ouvert en Afrique. 13 pays de l’Afrique de l’Ouest ont été évalués dans ce cadre. Sur les 06 pays de l’Afrique francophone évalués, le parlement du Bénin que Social Watch a accompagné est le premier devant le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Niger, le Sénégal et le Togo. Il est vrai que le Bénin est premier, mais le tableau est beaucoup moins reluisant au niveau africain en général. Beaucoup de choses restent à corriger et on sent une prise de conscience progressive.
Au niveau du pouvoir exécutif et précisément en matière de gouvernance financière, il y a une volonté d’ouverture, surtout au ministère de l’Économie et des Finances notamment à la Direction générale du budget. Quand on regarde l’enquête sur le budget ouvert de l’International Budget Partnership (IBP) qui évalue la transparence, la participation et le contrôle budgétaires dans 115 pays, notre pays est clairement dans la dynamique d’une amélioration de ses performances en matière d’ouverture.
Il y a une nette progression à ce niveau. Des efforts restent à faire également en ce qui concerne la participation citoyenne. La Direction générale du budget met les documents budgétaires en ligne. Il y a même une traduction du budget dans les langues nationales.
Social Watch Bénin suggère tout de même des améliorations sur l’accessibilité de ces différents documents et leur complétude, en travaillant sur des formats consultables par toutes les catégories de citoyens. Parfois, l’administration nous ferme ses portes. Et là, nous avons la capacité d’ester en justice pour des cas de corruption. C’est l’une des particularités de Social Watch Bénin.
Pour ce qui concerne l’année en cours, nous avons depuis un certain temps, un outil qui permet au public de dénoncer les faits de corruption. L’organisation fait ses investigations et si les faits sont avérés, nous exerçons une action en justice. En matière de participation citoyenne et de gouvernance financière, nous avons accompagné des communes à mettre en œuvre le budget participatif, essence même de la démocratie à la base car, cet outil permet aux citoyens non seulement d’être consultés aux différentes phases de l’élaboration du budget mais aussi, d’être présents au moment de l’exécution de ce dernier.
La cour des comptes du Bénin a sorti son premier rapport mais on a remarqué que le contrôle indépendant demeure une gageure, il faudrait alors poursuivre les opérations de veille
Dans la phase préparatoire, les conseils communaux ont fait montre d’une bonne collaboration. Ils ont organisé par la suite des sessions pour délibérer sur la mise en œuvre du budget. A l’application, ils tiennent compte de la division administrative au niveau local en impliquant les populations à partir des villages, des arrondissements jusqu’au niveau communal.
Il y a après une phase finale de synthèse des besoins prioritaires des administrés qui est effectuée si bien que, chaque arrondissement vient soutenir ses projets et compte tenu de la capacité financière de la localité, les programmes prioritaires sont retenus. La plus-value, c’est que les administrés contribuent financièrement et sont actifs dans la mobilisation des ressources en faveur des projets de développement. Ce sont des avancées considérables. Les pouvoirs publics sont même sidérés par les résultats et ont décidé d’élaborer un guide d’application du budget participatif. Les communes les plus respectueuses de ce guide ont été primées récemment dans le cadre d’un prix dénommé « Gouvernement ouvert local ».
Au total, 05 communes ont été distinguées. Il s’agit par ordre de mérite de Ouaké, Djougou, Avrankou, Zogbodomey et Zagnanado. Les cadres techniques qui ont fait preuve d’exemplarité ont été également honorés.
Social Watch Bénin, étant le point focal national de Transparency international, met en œuvre avec cette organisation, un projet dénommé le Programme d’appui à la lutte contre l’impunité et au renforcement de l’État de Droit (PALIRED), financé par l’Union européenne.
Entre autres activités, nous avons accompagné le ministère de l’Intérieur à élaborer et valider le code d’intégrité et de bonne conduite. Cet outil était destiné aux cadres de l’administration publique, mais le ministère nous a sollicité pour qu’il soit élargi aux agents des forces de défense et de sécurité notamment de la Police républicaine, une initiative que nous avons jugée utile de soutenir.
L’espace civique se rétrécit de jour en jour au Bénin et appelle à un renforcement de la veille citoyenne
Nous investiguons aussi au niveau de la passation des marchés publics. La question est de savoir ce qu’il faut faire pour que la commande publique soit la plus intègre et la plus inclusive possible. En consortium avec l’Association de lutte contre le racisme, l’ethnocentrisme et le régionalisme (ALCRER), cette initiative vise à susciter une participation citoyenne dans le domaine économique surtout. Nous avons dans ce sens, aidé des mairies à avoir leur cartographie en matière de potentialités économiques afin de pouvoir mobiliser les parties prenantes pouvant contribuer à la collecte de ressources.
Le suivi budgétaire sensible au dividende démographique représente par ailleurs, une composante de nos activités. Le constat en général est que la ligne budgétaire affectée à la planification familiale n’est pas consistante. Les résultats observés par rapport à cette action sont encourageants.
Quelles sont les priorités et les perspectives de Social Watch Bénin ?
Dans un État en développement comme le Bénin, tout est pratiquement prioritaire. Pour Social Watch, les priorités n’ont pas changé. Ce sont la transparence, le suivi budgétaire et la participation citoyenne. Cette trilogie permet d’éviter les saignées financières.
Le but ultime de toute action de développement, c’est l’amélioration des conditions de vie des populations, et donc la lutte contre la pauvreté. Le suivi budgétaire est capital. Le Bénin a fait un grand bond en matière de gouvernance économique et financière en créant et en opérationnalisant la cour des comptes.
La cour des comptes du Bénin a sorti son premier rapport mais on a remarqué que le contrôle indépendant demeure une gageure, il faudrait alors poursuivre les opérations de veille.
S’assurer que l’argent public est bien dépensé est une façon de renforcer l’État de droit. Avec la transparence budgétaire, les États peuvent mieux lutter contre la cherté de la vie. Le Bénin fait ces dernières années des efforts louables pour son développement. Mais, cela ne doit pas constituer un motif de négligence des droits humains et des acquis démocratiques. L’espace civique se rétrécit de jour en jour au Bénin et appelle à un renforcement de la veille citoyenne.
C’est un challenge pour la société civile aujourd’hui. Le développement est un ensemble et aucun compartiment de la vie sociale ne doit être laissé en rade. Nous faisons partie d’un réseau où vous avez l’Afrobaromètre qui est une étude régulière réalisée par un réseau de recherche panafricain, indépendant et non partisan dont les sondages dynamiques permettent à d’autres organisations comme Social Watch de mesurer sous le prisme du regard des populations, les moyennes démocratiques des pays ainsi que l’évolution des perceptions.
Ce sont des travaux qui montrent que la recherche est très importante dans la vie d’une Nation car ils viennent parfois confirmer des faits que des organisations crédibles de la société civile dénoncent ou des situations sur lesquelles, elles attiraient déjà l’attention des gouvernants. Ils servent souvent de preuve pour nos documents de plaidoyer et d’interpellation à Social Watch. Il arrive que nous prenions les devants. Des policy briefs sur des thématiques comme les droits des enfants constituent des activités de recherche que nous menons. Nous réalisons des notes budgétaires pour voir si l’exécution du budget national a pris en compte les aspirations sociales des populations. Cette démarche permet aux débiteurs d’obligations de savoir là où le fossé social se creuse et d’envisager au besoin des actions correctives, en vue de l’effectivité des prévisions.
En guise de conclusion de cet entretien et comme projections, je dirai, qu’il y a un gros défi sécuritaire pour la région ouest-africaine. Jusqu’à une période récente, les pays côtiers, notamment le Bénin, se croyaient à l’abri de la déferlante terroriste. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. En tant qu’organisation de la société civile, notre rôle est de contribuer à la riposte par la prévention de l’extrémisme violent et surtout de travailler à la coproduction de la sécurité au Bénin.
Comme perspectives, Social Watch Bénin veut faire de la « budgétisation verte », une priorité dans les années à venir. A part le terrorisme, les changements climatiques représentent un front social important et je dirais même, un élément clé de la sécurité en Afrique car, s’il n’y a plus de champs à cultiver, de l’eau à drainer, l’agriculteur désespéré risque d’aller commettre l’irréparable pour nourrir sa famille et subvenir à ses besoins. On ne le dira jamais assez : c’est sur nos errements en matière de gouvernance que s’appuie l’ennemi terroriste pour frapper. Le chantier de l’autonomisation est déterminant pour les sociétés africaines.
Biographie
Juriste, consultante indépendante en genre et développement, Blanche Sonon totalise plus de 20 ans d’action au sein de la société civile. Elle est actuellement présidente du conseil d’administration de Social Watch Bénin, un Réseau de contrôle citoyen de l’action publique au Bénin et qui dispose du statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations unies.
Première coordinatrice de la plateforme de participation des femmes à la prise de décision au Bénin, elle a aussi été vice-coordinatrice nationale de WILDAF-Bénin jusqu’en 2017 et membre de FemWise.
A ce titre, elle se bat pour la participation des populations notamment les plus vulnérables à l’élaboration, au suivi et à l’évaluation des politiques, projets et programmes de développement, aux niveaux local et national afin de prendre en compte les besoins prioritaires des populations, améliorer la qualité des services sociaux qui leur sont rendus, en vue de leur bien-être. Blanche Sonon a milité avec succès pour l’adoption au Bénin, d’un Système national d’Intégrité.